État, Gouvernements – Staats- und Regierungsformen (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel État, Gouvernements – Staats- und Regierungsformen aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Quel est le meilleur?

Je n’ai connu jusqu’à présent personne qui n’ait gouverné quelque État. Je ne parle pas de MM. les ministres, qui gouvernent en effet, les uns deux ou trois ans, les autres six mois, les autres six semaines; je parle de tous les autres hommes qui, à souper ou dans leur cabinet, étaient leur système de gouvernement, réforment les armées, l’Église, la robe, et la finance.
L’abbé de Bourzeis se mit à gouverner la France vers l’an 1645, sous le nom du cardinal de Richelieu, et fit ce Testament politique, dans lequel il veut enrôler la noblesse dans la cavalerie pour trois ans, faire payer la taille aux chambres des comptes et aux parlements, priver le roi du produit de la gabelle; il assure surtout que pour entrer en campagne avec cinquante mille hommes, il faut par économie en lever cent mille. Il affirme que la Provence seule a beaucoup plus de beaux ports de mer que l’Espagne et l’Italie ensemble.
L’abbé de Bourzeis n’avait pas voyagé. Au reste, son ouvrage fourmille d’anachronismes et d’erreurs; il fait signer le cardinal de Richelieu d’une manière dont il ne signa jamais, ainsi qu’il le fait parler comme il n’a jamais parlé. Au surplus, il emploie un chapitre entier à dire que la raison doit être la règle d’un État, et à tâcher de prouver cette découverte. Cet ouvrage de ténèbres, ce bâtard de l’abbé de Bourzeis a passé longtemps pour le fils légitime du cardinal de Richelieu; et tous les académiciens, dans leurs discours de réception, ne manquaient pas de louer démesurément ce chef-d’oeuvre de politique.
Le sieur Gatien de Courtilz, voyant le succès du Testament politique de Richelieu, fit imprimer à la Haye le Testament de Colbert, avec une belle lettre de M. Colbert au roi. Il est clair que si ce ministre avait fait un pareil testament, il eût fallu l’interdire; cependant ce livre a été cité par quelques auteurs.
Un autre gredin, dont on ignore le nom, ne manqua pas de donner le Testament de Louvois, plus mauvais encore, s’il se peut, que celui de Colbert; un abbé de Chevremont fit tester aussi Charles, duc de Lorraine. Nous avons eu les Testaments politiques du cardinal Alberoni, du maréchal de Belle-Isle, et enfin celui de Mandrin.
M. de Bois-Guillebert, auteur du Détail de la France, imprimé en 1695, donna le projet inexécutable de la dîme royale sous le nom du maréchal de Vauban.
Un fou, nommé La Jonchère, qui n’avait pas de pain, fit, en 1720, un projet de finance en quatre volumes; et quelques sots ont cité cette production comme un ouvrage de La Jonchère le trésorier général, s’imaginant qu’un trésorier ne peut faire un mauvais livre de finance.
Mais il faut convenir que des hommes très sages, très dignes peut-être de gouverner, ont écrit sur l’administration des États, soit en France, soit en Espagne, soit en Angleterre. Leurs livres ont fait beaucoup de bien; ce n’est pas qu’ils aient corrigé les ministres qui étaient en place quand ces livres parurent, car un ministre ne se corrige point et ne peut se corriger; il a pris sa croissance; plus d’instructions, plus de conseils; il n’a pas le temps de les écouter; le courant des affaires l’emporte: mais ces bons livres forment les jeunes gens destinés aux places; ils forment les princes, et la seconde génération est instruite.
Le fort et le faible de tous les gouvernements a été examiné de près dans les derniers temps. Dites-moi donc, vous qui avez voyagé, qui avez lu et vu, dans quel État, dans quelle sorte de gouvernement voudriez-vous être né? Je conçois qu’un grand seigneur terrien en France ne serait pas fâché d’être né en Allemagne; il serait souverain au lieu d’être sujet. Un pair de France serait fort aise d’avoir les privilèges de la pairie anglaise; il serait législateur.
L’homme de robe et le financier se trouveraient mieux en France qu’ailleurs.
Mais quelle patrie choisirait un homme sage, libre, un homme d’une fortune médiocre, et sans préjugés?
Un membre du conseil de Pondichéri, assez savant, revenait en Europe par terre avec un brame, plus instruit que les brames ordinaires. Comment trouvez-vous le gouvernement du Grand-Mogol? dit le conseiller. Abominable, répondit le brame. Comment voulez-vous qu’un État soit heureusement gouverné par des Tartares? Nos raïas, nos omras, nos nababs, sont fort contents, mais les citoyens ne le sont guère, et des millions de citoyens sont quelque chose.
Le conseiller et le brame traversèrent en raisonnant toute la haute Asie. Je fais une réflexion, dit le brame; c’est qu’il n’y a pas une république dans toute cette vaste partie du monde. Il y a eu autre fois celle de Tyr, dit le conseiller, mais elle n’a pas duré longtemps. Il y en avait encore une autre vers l’Arabie-Pétrée, dans un petit coin nommé la Palestine, si on peut honorer du nom de république une horde de voleurs et d’usuriers, tantôt gouvernée par des juges, tantôt par des espèces de rois, tantôt par des grands pontifes, devenue esclave sept ou huit fois, et enfin chassée du pays qu’elle avait usurpé.
Je conçois, dit le brame, qu’on ne doit trouver sur la terre que très peu de républiques. Les hommes sont rarement dignes de se gouverner eux-mêmes. Ce bonheur ne doit appartenir qu’à des petits peuples qui se cachent dans les îles, ou entre les montagnes, comme des lapins qui se dérobent aux animaux carnassiers; mais à la longue ils sont découverts et dévorés.
Quand les deux voyageurs furent arrivés dans l’Asie Mineure, le conseiller dit au brame: Croiriez-vous bien qu’il y a eu une république formée dans un coin de l’Italie, qui a duré plus de cinq cents ans, et qui a possédé cette Asie Mineure, l’Asie, l’Afrique, la Grèce, les Gaules, l’Espagne et l’Italie entière? Elle se tourna donc bien vite en monarchie? dit le brame. Vous l’avez deviné, dit l’autre; mais cette monarchie est tombée, et nous faisons tous les jours de belles dissertations pour trouver les causes de sa décadence et de sa chute. Vous prenez bien de la peine, dit l’Indien; cet empire est tombé parce qu’il existait. Il faut bien que tout tombe; j’espère bien qu’il en arrivera tout autant à l’empire du Grand-Mogol.
A propos, dit l’Européen, croyez-vous qu’il faille plus d’honneur dans un État despotique, et plus de vertu dans une république? L’Indien s’étant fait expliquer ce qu’on entend par honneur, répondit que l’honneur était plus nécessaire dans une république, et qu’on avait bien plus besoin de vertu dans un État monarchique. Car, dit-il, un homme qui prétend être élu par le peuple ne le sera pas s’il est déshonoré; au lieu qu’à la cour il pourra aisément obtenir une charge, selon la maxime d’un grand prince, qu’un courtisan, pour réussir, doit n’avoir ni honneur ni humeur. A l’égard de la vertu, il en faut prodigieusement dans une cour pour oser dire la vérité. L’homme vertueux est bien plus à son aise dans une république; il n’a personne à flatter.
Croyez-vous, dit l’homme d’Europe, que les lois et les religions soient faites pour les climats, de même qu’il faut des fourrures à Moscou et des étoffes de gaze à Delhi? Oui, sans doute, dit le brame; toutes les lois qui concernent la physique sont calculées pour le méridien qu’on habite; il ne faut qu’une femme à un Allemand, et il on faut trois ou quatre à un Persan.
Les rites de la religion sont de même nature. Comment voudriez-vous, si j’étais chrétien, que je disse la messe dans ma province, où il n’y a ni pain ni vin? A l’égard des dogmes, c’est autre chose; le climat n’y fait rien. Votre religion n’a-t-elle pas commencé en Asie, d’où elle a été chassée? N’existe-t-elle pas vers la mer Baltique, où elle était inconnue?
Dans quel État, sous quelle domination aimeriez-vous mieux vivre? dit le conseiller. Partout ailleurs que chez moi, dit son compagnon; et j’ai trouvé beaucoup de Siamois, de Tunquinois, de Persans et de Turcs qui en disaient autant. Mais, encore une fois, dit l’Européen, quel État choisiriez-vous? Le brame répondit: Celui où l’on n’obéit qu’aux lois. C’est une vieille réponse, dit le conseiller. Elle n’en est pas plus mauvaise, dit le brame. Où est ce pays-là? dit le conseiller. Le brame dit: Il faut le chercher.