Songes – Träume (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Songes – Träume aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Somnia, quae ludunt animos volitantibus umbris,
Non delubra deum nec ab aethere numina mittunt,
Sed sua quisque facit.


Mais comment, tous les sens étant morts dans le sommeil, y en a-t-il un interne qui est vivant? Comment, vos yeux ne voyant plus, vos oreilles n’entendant rien, voyez-vous cependant et entendez-vous dans vos rêves? Le chien est à la chasse en songe; il aboie, il suit la proie, il est à la curée. Le poète fait des vers en dormant; le mathématicien voit des figures; le métaphysicien raisonne bien ou mal; on en a des exemples frappants.
Sont-ce les seuls organes du la machine qui agissent? Est-ce l’âme pure qui, soustraite à l’empire des sens, jouit de ses droits en liberté?
Si les organes seuls produisent les rêves de la nuit, pourquoi ne produiront-ils pas seuls les idées du jour? Si l’âme pure, tranquille dans le repos des sens, agissant par elle-même, est l’unique cause, le sujet unique de toutes les idées que vous avez en dormant, pourquoi toutes ces idées sont-elles presque toujours irrégulières, déraisonnables, incohérentes? Quoi! c’est dans le temps où cette âme est le moins troublée qu’il y a plus de trouble dans toutes ses imaginations! Elle est en liberté, et elle est folle! Si elle était née avec des idées métaphysiques, comme l’ont dit tant d’écrivains qui rêvaient les yeux ouverts, ses idées pures et lumineuses de l’être, de l’infini, de tous les premiers principes devraient se réveiller en elle avec la plus grande énergie quand son corps est endormi: on ne serait jamais bon philosophe qu’en songe.
Quelque système que vous embrassiez, quelques vains efforts que vous fassiez pour vous prouver que la mémoire remue votre cerveau, et que votre cerveau remue votre âme, il faut que vous conveniez que toutes vos idées vous viennent dans le sommeil sans vous et malgré vous: votre volonté n’y a aucune part. Il est donc certain que vous pouvez penser sept ou huit heures de suite sans avoir la moindre envie de penser, et sans même être sûr que vous pensez. Pesez cela, et tâchez de deviner ce que c’est que le composé de l’animal.
Un général d’armée rêve qu’il gagne une bataille; il la gagne en effet; les dieux l’ont averti qu’il serait vainqueur.
On ne tient compte que des rêves qui ont été accomplis; on oublie les autres. Les songes font une grande partie de l’histoire ancienne, aussi bien que les oracles.
La Vulgate traduit ainsi la fin du verset 26 du chapitre XIX du Lévitique: «Vous n’observerez point les songes.» Mais le mot songe n’est point dans l’hébreu; et il serait assez étrange qu’on réprouvât l’observation des songes dans le même livre où il est dit que Joseph devint le bienfaiteur de l’Égypte et de sa famille pour avoir expliqué trois songes.
L’explication des rêves était une chose si commune qu’on ne se bornait pas à cette intelligence: il fallait encore deviner quelquefois ce qu’un autre homme avait rêvé. Nabuchodonosor, ayant oublié un songe qu’il avait fait, ordonna à ses mages de le deviner, et les menaça de mort s’ils n’en venaient pas à bout; mais le Juif Daniel, qui était de l’école des mages, leur sauva la vie en devinant quel était le songe du roi, et en l’interprétant. Cette histoire et beaucoup d’autres pourraient servir à prouver que la loi des Juifs ne défendait pas l’onéiromancie, c’est-à-dire la science des songes.

Salomon (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Salomon aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.




Salomon, pouvait-il être aussi riche qu’on le dit?

Les Paralipomènes assurent que le Melk David son père lui laissa environ vingt milleiards de nottre monnaie au cours de ce jour, selon la supputation la plus modeste. Il n’y a pas tant d’argent dans toute la terre, et il est assez difficile que David ait pû amasser ce trésor dans le petit pays de la Palestine.
Salomon, selon le troisième livre des Rois, avait quarante mille écuries pour les chevaux de ses chariots. Quant chaque écurerie n’aurait contenu que dix chevaux, cela n’aurait composé que le nombre de quatre cent mille, qui joints à ses douze mille chevaux de selle, eût fait quatre cent douze mille chevaux de bataille. C’est beaucoup pour un Melk juif qui ne fit jamais la guerre. Cette magnificence n’a guère d’exemple dans un pays qui ne nourrit que des ânes, et oû il n’y a pas aujourd’hui d’autre monture. Mais apparement que les temps sont changés; il est vrai qu’un prince si sage qui avait mille femme, pouvait bien avoir aussi quatre cent douze mille chevaux, ne fût-ce que pour aller se promener avec elles, ou le long du lac Génézareth, ou vers celui de Sodome, ou vers le torrent de Cédron, qui est un des endroits des plus délicieux de la terre, quoiqu’à la vérité ce torrent soit sec neuf mois de l’année, et que le terrain soit un peu pierreux.
Mais ce sage Salomon a-t-il fait des ouvrages qu’on lui attribue? Est-il vraisemblable, par exemple, qu’il soit l’auteur de l’églogue juive intitulée le Cantique des Cantiques?
Il se peut qu’un monarque qui avait mille femmes ait dit à l’une d’elles: Qu’elle me baise d’un baiser de sa bouche, car vos tétons sont meilleurs que le vin.; un roi et un berger, quand il s’agit de baiser sur la bouche, peuvent s’exprimer de la même manière. Il est vrai qu’il est assez étrange qu’on ait prétendu que c’était la fille qui parlait en cet endroit, et qui faisait l’éloge des tétons de son amant.
Je ne nierai pas ecore qu’un roi galant ait fait dire à sa maîtresse, mon bien aimé est comme un bouquet de mirrhe, il demeurera entre mes tetons. Je n’entends pas trop ce que c’est qu’un bouquet de mirrhe; mais enfin quand la bie-aimée avice son bien-aimé de lui passer la main gauche sur le cou, et de l’embrasser de la main droite, je l’entends fort bien.
On pourrait demander quelques exlications à l’auteur du cantique, quand il dit: Votre nombril est comme une coupe dans laquelle il y a toujours quelque chose à boire; votre ventre est comme un boisseau de froment, vos tétons sont comme deux faons de chevreuil, et votre nez est comme la tour du Mont Liban.
J’avoue que les églogues de Virgile sont d’un autre style; mais chacun a le sien, et un Juif n’est pas obligé d’écrire comme Virgile.
C’est apparemment encore un beau tour d’éloquence orientale, que de dire, Notre soeur est encore petite, elle n’a point de tétons; que forons-nous de notre soeur? Si c’est un mur, bâtissons dessus; si c’est une porte, fermons-la.
A la bonne heure que Salomon, le plus sage des hommes, ait parlé ainsi dans ses goguettes; c’était, dit-on, son épithalame pour son marriage avec la fille de Pharaon; mais est-il naturel que le gendre de Pharaon quitte sa bien-aimée pendant la nuit, pour aller dans son jardin des noyers, que la reine coure toute seule après lui nus-pieds, qu’elle soit battue par les gardes de la ville, et qu’ils lui prennent sa robe?
La fille d’un roi aurait-elle pu dire: Je suis brune, mais je suis belle, comme les fourures de Salomon? On passerait de telles expressions à un berger, quoiqu’après tout il n’y ait pas grand rapport entre la beauté d’une fille, et des fourures. Mais enfin, les pelisses de Salomon pouvaient avoir été admirées de leur temps; et un juif de la lie du people, qui faisait des vers pour sa maîtresse, pouvait fort bien lui dire dans son langage juif, que jamais aucun roi juif n’avait eu des robes fourées aussi belle qu’elle; mais il eût falu que le roi Salomon eût été bien enthousiasmé de ses fourures pour les comparer à sa maîtresse; un roi de nos jours qui composerait une belle épithalame pour son marriage avec la fille d’un roi son voisin, ne passerait pas, à coup sûr, pour le meilleur poète de son royaume.
Plusieurs rabbins ont soutenu que non seulement cette petite églogue voluptueuse n’était pas du roi Salomon, mais qu’elle n’était pas authentique. Théodore de Mopsueste était de ce sentiment; et le célèbre Grotius appelle le Cantique des cantiques un ouvrage libertin, flagitiosus, cependant il est consacré, et on le regarde comme une allégorie perpétuelle du mariage de Jésus-Christ avec son Église. Il faut avouer que l’allégorie est un peu forte, et qu’on ne voit pas ce que l’Église pourrait entendre quand l’auteur dit que sa petite soeur n’a point de tétons, et si c’est un muur, il faut bâtir dessus.
Le livre de la Sagesse est dans un goût plus sérieux; mais il n’est pas plus de Salomon que le Cantique des cantiques. On l’attribue communément à Jésus fils de Sirac, d’autres à Philon de Biblos: mais quel que soit l’auteur, on a cru que de son temps on n’avait point encore le Pentateuque; car il dit, au chapitre x, qu’Abraham voulut immoler Isaac du temps du déluge, et dans un autre endroit il parle du patriarche Joseph comme d’un roi d’Égypte.
Les Proverbes ont été attribués à Isaïe, à Elzia, à Sobna, à Éliacin, à Joacké, et à plusieurs autres; mais qui que ce soit qui ait compilé ce recueil de sentences orientales, il n’y a pas d’apparence que ce soit un roi qui s’en soit donné la peine. Aurait-il dit que « la terreur du roi est comme le rugissement du lion? » C’est ainsi que parle un sujet ou un esclave que la colère de son maître fait trembler. Salomon aurait-il tant parlé de la femme impudique? Aurait-il dit: « Ne regardez point le vin quand il paraît clair, et que sa couleur brille dans le verre? »
Je doute fort qu’on ait eu des verres à boire du temps de Salomon; c’est une invention fort récente; toute l’antiquité buvait dans des tasses de bois ou de métal; et ce seul passage indique que cette ouvrage fut fait par un juif d’Alexandrie, longtemps après Alexandre.
Reste l’Ecclésiaste, que Grotius pretend d’avoir été écrit sous Zorobabel. On sait assez avec quelle liberté l’auteure de l’Ecclésiaste s’exprime; on sait qu’il dit que les hommes n’ont rien de plus que les bêtes; qu’il vaut mieux n’être pas né que d’exister; qu’il n y a point d’autre vie, qu’il n’y a rien de bien que de se réjouir dans ses oeuvres avec celle qu’on aime.
Il se pourrait faire que Salomon eût tenu de tels discours à quelques-unes de ses femmes: on prétend que ce sont des objections qu’il se fait; mais ces maximes, qui ont l’air un peu libertin, ne ressemblent point du tout à des objections; et c’est se moquer du monde d’entendre dans un auteur le contraire de ce qu’il dit.
Au reste, plusieurs Pères ont prétendu que Salomon avait fait pénitence; ainsi on peut lui pardonner.
Mais que ces livres aient été écrits par un Juif, que nous importe? Notre religion chrétienne est fondée sur la juive, mais non pas sur tous les livres que les Juifs ont faits. Pourquoi le Cantique des cantiques, par exemple, serait-il plus sacré pour nous que les fables du Talmud? C’est, dit-on, que nous l’avons compris dans le canon des Hébreux. Et qu’est-ce que ce canon? C’est un recueil d’ouvrages authentiques. Eh bien! un ouvrage pour être authentique est-il divin? une histoire des roitelets de Juda et de Sichem, par exemple, est-elle autre chose qu’une histoire? Voilà un étrange préjugé. Nous avons les Juifs en horreur, et nous voulons que tout ce qui a été écrit par eux et recueilli par nous porte l’empreinte de la Divinité. Il n’y a jamais eu de contradiction si palpable.

Réligion (Originaltext)

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Première question.

L’évêque de Vorcester, Warburton, auteur d’un des plus savants ouvrages qu’on ait jamais faits, s’exprime ainsi, page 8, tome Ier: « Une religion, une société qui n’est pas fondée sur la créance d’une autre vie, doit être soutenue par une providence extraordinaire. Le judaïsme n’est pas fondé sur la créance d’une autre vie; donc le judaïsme a été soutenu par une providence extraordinaire. »
Plusieurs théologiens se sont élevés contre lui; et comme on rétorque tous les arguments, on a rétorqué le sien, on lui a dit:
« Toute religion qui n’est pas fondée sur le dogme de l’immortalité de l’âme, et sur les peines et les récompenses éternelles, est nécessairement fausse: or le judaïsme ne connut point ces dogmes; donc le judaïsme, loin d’être soutenu par la Providence, était, par vos principes, une religion fausse et barbare qui attaquait la Providence. »
Cet évêque eut quelques autres adversaires qui lui soutinrent que l’immortalité de l’âme était connue chez les Juifs, dans le temps même de Moïse; mais il leur prouva très évidemment que ni le Décalogue, ni le Lévitique, ni le Deutéronome, n’avaient dit un seul mot de cette créance, et qu’il est ridicule de vouloir tordre et corrompre quelques passages des autres livres pour en tirer une vérité qui n’est point annoncée dans le livre de la loi.
Monsieur l’évêque, ayant fait quatre volumes pour démontrer que la loi judaïque ne proposait ni peines ni récompenses après la mort, n’a jamais pu répondre à ses adversaires d’une manière bien satisfaisante. Ils lui disaient: « Ou Moïse connaissait ce dogme, et alors il a trompé les Juifs en ne le manifestant pas; ou il l’ignorait, et en ce cas il n’en savait pas assez pour fonder une bonne religion. En effet, si sa religion avait été bonne, pourquoi l’aurait-on abolie? Une religion vraie doit être pour tous les temps et pour tous les lieux; elle doit être comme la lumière du soleil, qui éclaire tous les peuples et toutes les générations. »
Ce prélat, tout éclairé qu’il est, a eu beaucoup de peine à se tirer de toutes ces difficultés: mais quel système en est exempt?

Seconde question.

Un autre savant beaucoup plus philosophe, qui est un des plus profonds métaphysiciens de nos jours, donne de fortes raisons pour prouver que le polythéisme a été la première religion des hommes, et qu’on a commencé à croire plusieurs dieux, avant que la raison fût assez éclairée pour ne reconnaître qu’un seul Être suprême.
J’ose croire, au contraire, qu’on a commencé d’abord par reconnaître un seul Dieu, et qu’ensuite la faiblesse humaine en a adopté plusieurs; et voici comme je conçois la chose.
Il est indubitable qu’il y eut des bourgades avant qu’on eût bâti de grandes villes, et que tous les hommes ont été divisés en petites républiques avant qu’ils fussent réunis dans de grands empires. Il est bien naturel qu’une bourgade effrayée du tonnerre, affligée de la perte de ses moissons, maltraitée par la bourgade voisine, sentant tous les jours sa faiblesse, sentant partout un pouvoir invisible, ait bientôt dit: « Il y a quelque être au-dessus de nous qui nous fait du bien et du mal. »
Il me paraît impossible qu’elle ait dit: « Il y a deux pouvoirs. » Car pourquoi plusieurs? On commence en tout genre par le simple, ensuite vient le composé, et souvent enfin on revient au simple par des lumières supérieures. Telle est la marche de l’esprit humain.
Quel est cet être qu’on aura d’abord invoqué? sera-ce le soleil? sera-ce la lune? je ne le crois pas. Examinons ce qui se passe dans les enfants; ils sont à peu près ce que sont les hommes ignorants. Ils ne sont frappés ni de la beauté ni de l’utilité de l’astre qui anime la nature, ni des secours que la lune nous prête, ni des variations régulières de son cours; ils n’y pensent pas, ils y sont trop accoutumés. On ne crainte, on n’invoque, on n’adore que ce qu’on craint; tous les enfants voient le ciel avec indifférence; mais que le tonnerre gronde, ils tremblent, ils vont se cacher. Les premiers hommes en ont sans doute agi de même. Il ne peut y avoir que des espèces de philosophes qui aient remarqué le cours des astres, les aient fait admirer, et les aient fait adorer; mais des cultivateurs simples et sans aucune lumière n’en savaient pas assez pour embrasser une erreur si noble.
Un village se sera donc borné à dire: « Il y a une puissance qui tonne, qui grêle sur nous, qui fait mourir nos enfants; apaisons-la: mais comment l’apaiser? Nous voyons que nous avons calmé par de petits présents la colère des gens irrités; faisons donc de petits présents à cette puissance. Il faut lui donner un nom. Le premier qui s’offre est celui de chef, de maître, de seigneur; cette puissance est donc appelée monseigneur. C’est probablement la raison pour laquelle les premiers Égyptiens appelèrent leur dieu Knef; les Syriens, Adoni; les peuples voisins, Baal ou Bel, ou Melch, ou Moloch; les Scythes, Papée; tous mots qui signifient seigneur, maître.
C’est ainsi qu’on trouva presque toute l’Amérique partagée en une multitude de petites peuplades, qui toutes avaient leur dieu protecteur. Les Mexicains mêmes, et les Péruviens, qui étaient de grandes nations, n’avaient qu’un seul dieu: l’une adorait Manco Kapak, l’autre le dieu de la guerre. Les Mexicains donnaient à leur dieu guerrier le nom de Vitzliputzli, comme les Hébreux avaient appelé leur Seigneur Sabaoth.
Ce n’est point par une raison supérieure et cultivée que tous les peuples ont ainsi commencé à reconnaître une seule divinité; s’ils avaient été philosophes, ils auraient adoré le dieu de toute la nature, et non pas le dieu d’un village; ils auraient examiné ces rapports infinis de tous les êtres, qui prouvent un être créateur et conservateur; mais ils n’examinèrent rien, ils sentirent. C’est là le progrès de notre faible entendement; chaque bourgade sentait sa faiblesse et le besoin qu’elle avait d’un fort protecteur. Elle imaginait cet être tutélaire et terrible résidant dans la forêt voisine, ou sur la montagne, ou dans une nuée. Elle n’en imaginait qu’un seul, parce que la bourgade n’avait qu’un chef à la guerre. Elle l’imaginait corporel, parce qu’il était impossible de se le représenter autrement. Elle ne pouvait croire que la bourgade voisine n’eût pas aussi son dieu. Voilà pourquoi Jephté dit aux habitants de Moab: « Vous possédez légitimement ce que votre dieu Chamos vous a fait conquérir; vous devez nous laisser jouir de ce que notre dieu nous a donné par ses victoires. » (Juges, xi, 24.)
Ce discours, tenu par un étranger à d’autres étrangers, est très remarquable. Les Juifs et les Moabites avaient dépossédé les naturels du pays: l’un et l’autre n’avait d’autre droit que celui de la force, et l’un dit à l’autre: Ton dieu t’a protégé dans ton usurpation, souffre que mon dieu me protège dans la mienne. »
Jérémie et Amos demandent l’un et l’autre « quelle raison a eue le dieu Melchom de s’emparer du pays de Gad. » Il paraît évident par ces passages que l’antiquité attribuait à chaque pays un dieu protecteur. On trouve encore des traces de cette théologie dans Homère.
Il est bien naturel que l’imagination des hommes s’étant échauffée, et leur esprit ayant acquis des connaissances confuses, ils aient bientôt multiplié leurs dieux, et assigné des protecteurs aux éléments, aux mers, aux forêts, aux fontaines, aux campagnes. Plus ils auront examiné les astres, plus ils auront été frappés d’admiration. Le moyen de ne pas adorer le soleil, quand on adore la divinité d’un ruisseau? Dès que le premier pas est fait, la terre est bientôt couverte de dieux; et on descend enfin des astres aux chats et aux oignons.
Cependant il faut bien que la raison se perfectionne; le temps forme enfin des philosophes qui voient que ni les oignons, ni les chats, ni même les astres, n’ont arrangé l’ordre de la nature. Tous ces philosophes, babyloniens, persans, égyptiens, scythes, grecs et romains, admettent un Dieu suprême, rémunérateur et vengeur.
Ils ne le disent pas d’abord aux peuples: car quiconque eût mal parlé des oignons et des chats, devant des vieilles et des prêtres eût été lapidé; quiconque eût reproché à certains Égyptiens de manger leurs dieux eût été mangé lui-même, comme en effet Juvénal rapporte qu’un Égyptien fut tué et mangé tout cru(83) dans une dispute de controverse.
Mais que fit-on? Orphée et d’autres établissent des mystères que les initiés jurent par des serments exécrables de ne point révéler, et le principal de ces mystères est l’adoration d’un seul Dieu. Cette grande vérité pénètre dans la moitié de la terre; le nombre des initiés devient immense: il est vrai que l’ancienne religion subsiste toujours; mais comme elle n’est point contraire au dogme de l’unité de Dieu, on la laisse subsister. Et pourquoi l’abolirait-on? Les Romains reconnaissent le Deus optimus maximus; les Grecs ont leur Zeus, leur Dieu suprême. Toutes les autres divinités ne sont que des êtres intermédiaires: on place des héros et des empereurs au rang des dieux, c’est-à-dire des bienheureux; mais il est sûr que Claude, Octave, Tibère, et Caligula, ne sont pas regardés comme les créateurs du ciel et de la terre.
En un mot, il paraît prouvé que, du temps d’Auguste, tous ceux qui avaient une religion reconnaissaient un Dieu supérieur, éternel, et plusieurs ordres de dieux secondaires, dont le culte fut appelé depuis idolâtrie,
Les Juifs n’avaient jamais été idolâtres: car quoiqu’ils admissent des malachim, des anges, des êtres célestes d’un ordre inférieur, leur loi n’ordonnait point que ces divinités secondaires eussent un culte chez eux. Ils adoraient les anges, il est vrai, c’est-à-dire ils se prosternaient quand ils en voyaient; mais comme cela n’arrivait pas souvent, il n’y avait ni de cérémonial ni de culte légal établi pour eux. Les chérubins de l’arche ne recevaient point d’hommages. Il est constant que les Juifs adoraient, du moins depuis Alexandre, ouvertement un seul Dieu, comme la foule innombrable d’initiés l’adoraient secrètement dans leurs mystères.

Troisième question.

Ce fut dans ce temps où le culte d’un Dieu suprême était universellement établi chez tous les sages en Asie, en Europe, et en Afrique, que la religion chrétienne prit naissance.
Le platonisme aida beaucoup à l’intelligence de ses dogmes. Le Logos, qui, chez Platon, signifiait la sagesse, la raison de l’Être suprême, devint chez nous le Verbe et une seconde personne de Dieu. Une métaphysique profonde et au-dessus de l’intelligence humaine fut un sanctuaire inaccessible dans lequel la religion fut enveloppée.
On ne répétera point ici comment Marie fut déclarée dans la suite mère de Dieu, comment on établit la consubstantialité du Père et du Verbe, et la procession du Pneuma, organe divin du divin Logos, deux natures et deux volontés résultantes de l’hypostase, et enfin la manducation supérieure, l’âme nourrie ainsi que le corps des membres et du sang de l’Homme-Dieu adoré et mangé sous la forme du pain, présent aux yeux, sensible au goût, et cependant anéanti. Tous les mystères ont été sublimes.
On commença, dès le iie siècle, par chasser les démons au nom de Jésus: auparavant on les chassait au nom de Jéhovah ou Ihaho; car saint Matthieu rapporte que les ennemis de Jésus ayant dit qu’il chassait les démons au nom du prince des démons, il leur répondit: « Si c’est par Belzébuth que je chasse les démons, par qui vos enfants les chassent-ils? »
On ne sait point en quel temps les Juifs reconnurent pour prince des démons Belzébuth, qui était un dieu étranger; mais on sait (et c’est Josèphe qui nous l’apprend) qu’il y avait à Jérusalem des exorcistes préposés pour chasser les démons des corps des possédés, c’est-à-dire des hommes attaqués de maladies singulières, qu’on attribuait alors dans une grande partie de la terre à des génies malfaisants.
Ou chassait donc ces démons avec la véritable prononciation de Jéhovah aujourd’hui perdue, et avec d’autres cérémonies aujourd’hui oubliées.
Cet exorcisme par Jéhovah ou par les autres noms de Dieu était encore en usage dans les premiers siècles de l’Église. Origène, en disputant contre Celse, lui dit, n° 262(84): « Si en invoquant Dieu, ou en jurant par lui, on le nomme le Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, on fera certaines choses par ces noms, dont la nature et la force sont telles que les démons se soumettent à ceux qui les prononcent; mais si on le nomme d’un autre nom, comme Dieu de la mer bruyante, supplantateur, ces noms seront sans vertu. Le nom d’Israël traduit en grec ne pourra rien opérer; mais prononcez-le en hébreu, avec les autres mots requis, vous opérerez la conjuration. »
Le même Origène, au nombre xix, dit ces paroles remarquables: « Il y a des noms qui ont naturellement de la vertu, tels que sont ceux dont se servent les sages parmi les Égyptiens, les mages en Perse, les brachmanes dans l’Inde. Ce qu’on nomme magie n’est pas un art vain et chimérique, ainsi que le prétendent les stoïciens et les épicuriens: ni le nom de Sabaoth, ni celui d’Adonaï, n’ont pas été faits pour des êtres créés, mais ils appartiennent à une théologie mystérieuse qui se rapporte au Créateur: de là vient la vertu de ces noms quand on les arrange et qu’on les prononce selon les règles, etc. »
Origène en parlant ainsi ne donne point son sentiment particulier, il ne fait que rapporter l’opinion universelle. Toutes les religions alors connues admettaient une espèce de magie; et on distinguait la magie céleste et la magie infernale, la nécromancie et la théurgie; tout était prodige, divination, oracle. Les Perses ne niaient point les miracles des Égyptiens, ni les Égyptiens ceux des Perses. Dieu permettait que les premiers chrétiens fussent persuadés des oracles attribués aux sibyles, et leur laissait encore quelques erreurs peu importantes, qui ne corrompaient point le fond de la religion.
Une chose encore fort remarquable, c’est que les chrétiens des deux premiers siècles avaient de l’horreur pour les temples, les autels et les simulacres. C’est ce qu’Origène avoue, n° 347. Tout changea depuis avec la discipline, quand l’Église reçut une forme constante.

Quatrième question.

Lorsque une fois une religion est établie légalement dans un État, les tribunaux sont tous occupés à empêcher qu’on ne renouvelle la plupart des choses qu’on faisait dans cette religion avant qu’elle fût publiquement reçue. Les fondateurs s’assemblaient en secret malgré les magistrats; on ne permet que les assemblées publiques sous les yeux de la loi, et toutes associations qui se dérobent à la loi sont défendues. L’ancienne maxime était qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes; la maxime opposée est reçue, que c’est obéir à Dieu que de suivre les lois de l’État. On n’entendait parler que d’obsessions et de possessions; le diable était alors déchaîné sur la terre; le diable ne sort plus aujourd’hui de sa demeure. Les prodiges, les prédictions étaient alors nécessaires, on ne les admet plus un homme qui prédirait des calamités sur les places publiques serait mis aux Petites-Maisons. Les fondateurs recevaient secrètement l’argent des fidèles; un homme qui recueillerait de l’argent pour en disposer, sans y être autorisé par la loi, serait repris de justice. Ainsi on ne se sert plus d’aucun des échafauds qui ont servi à bâtir l’édifice.

Cinquième question.

Après notre sainte religion, qui sans doute est la seule bonne, quelle serait la moins mauvaise?
Ne serait-ce pas la plus simple? ne serait-ce pas celle qui enseignerait beaucoup de morale et très peu de dogmes? celle qui tendrait à rendre les hommes justes, sans les rendre absurdes? celle qui n’ordonnerait point de croire des choses impossibles, contradictoires, injurieuses à la Divinité, et pernicieuses au genre humain, et qui n’oserait point menacer des peines éternelles quiconque aurait le sens commun? Ne serait-ce point celle qui ne soutiendrait pas sa créance par des bourreaux, et qui n’inonderait pas la terre de sang pour des sophismes inintelligibles? celle dans laquelle une équivoque, un jeu de mots et deux ou trois chartes supposées ne feraient pas un souverain et un dieu d’un prêtre souvent incestueux, homicide et empoisonneur? celle qui ne soumettrait pas les rois à ce prêtre? celle qui n’enseignerait que l’adoration d’un Dieu, la justice, la tolérance, et l’humanité?

Sixième question.

On a dit que la religion des gentils était absurde en plusieurs points, contradictoire, pernicieuse; mais ne lui a-t-on pas imputé plus de mal qu’elle n’en a fait, et plus de sottises qu’elle n’en a prêché? Car de voir Jupiter taureau, Serpent, cygne, ou quelque autre chose, Je ne trouve point cela beau, Et ne m’étonne pas si parfois on en cause.
Molière, Prologue d’Amphitryon. Sans doute cela est fort impertinent; mais qu’on me montre dans toute l’antiquité un temple dédié à Léda couchant avec un cygne ou avec un taureau. Y a-t-il eu un sermon prêché dans Athènes ou dans Rome pour encourager les filles à faire des enfants avec les cygnes de leur basse-cour? Les fables recueillies et ornées par Ovide sont-elles la religion? ne ressemblent-elles pas à notre Légende dorée, à notre Fleur des saints? Si quelque brame ou quelque derviche venait nous objecter l’histoire de sainte Marie Égyptienne, laquelle n’ayant pas de quoi payer les matelots qui l’avaient conduite en Égypte, donna à chacun d’eux ce que l’on appelle des faveurs, en guise de monnaie, nous dirions au brame: « Mon révérend père, vous vous trompez, notre religion n’est pas la Légende dorée. »
Nous reprochons aux anciens leurs oracles, leurs prodiges: s’ils revenaient au monde, et qu’on pût compter les miracles de Notre-Dame de Lorette et ceux de Notre-Dame d’Éphèse, en faveur de qui des deux serait la balance du compte?
Les sacrifices humains ont été établis chez presque tous les peuples, mais très rarement mis en usage. Nous n’avons que la fille de Jephté et le roi Agag d’immolés chez les Juifs, car Isaac et Jonathas ne le furent pas. L’histoire d’Iphigénie n’est pas bien avérée chez les Grecs. Les sacrifices humains sont très rares chez les anciens Romains; en un mot, la religion païenne a fait répandre très peu de sang, et la nôtre en a couvert la terre. La nôtre est sans doute la seule bonne, la seule vraie: mais nous avons fait tant de mal par son moyen, que quand nous parlons des autres nous devons être modestes.

Septième question.

Si un homme veut persuader sa religion à des étrangers ou à ses compatriotes, ne doit-il pas s’y prendre avec la plus insinuante douceur et la modération la plus engageante? S’il commence par dire que ce qu’il annonce est démontré, il trouvera une foule d’incrédules; s’il ose leur dire qu’ils ne rejettent sa doctrine qu’autant qu’elle condamne leurs passions, que leur coeur a corrompu leur esprit, qu’ils n’ont qu’une raison fausse et orgueilleuse, il les révolte, il les anime contre lui, il ruine lui-même ce qu’il veut établir.
Si la religion qu’il annonce est vraie, l’emportement et l’insolence la rendront-ils plus vraie? Vous mettez-vous en colère quand vous dites qu’il faut être doux, patient, bienfaisant, juste, remplir tous les devoirs de la société? non, car tout le monde est de votre avis. Pourquoi donc dites-vous des injures à votre frère, quand vous lui prêchez une métaphysique mystérieuse? c’est que son sens irrite votre amour-propre. Vous avez l’orgueil d’exiger que votre frère soumette son intelligence à la vôtre: l’orgueil humilié produit la colère; elle n’a point d’autre source. Un homme blessé de vingt coups de fusil dans une bataille ne se met point en colère; mais un docteur blessé du refus d’un suffrage devient furieux et implacable.



Résurrection – Auferstehung (Originaltext)

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On conte que les Égyptiens n’avaient bâti leurs pyramides que pour en faire des tombeaux, et que leurs corps embaumés par dedans et par dehors attendaient que leurs âmes vinssent les ranimer au bout de mille ans. Mais si leurs corps devaient ressusciter, pourquoi la première opération des parfumeurs était-elle de leur percer le crâne avec un crochet, et d’en tirer la cervelle? L’idée de ressusciter sans cervelle fait soupçonner (Si on peut user de ce mot) que les Égyptiens n’en avaient guère de leur vivant; mais il faut considérer que la plupart des anciens croyaient que l’âme est dans la poitrine. Et pourquoi l’âme est-elle dans la poitrine plutôt qu’ailleurs? C’est qu’en effet, dans tous nos sentiments un peu violents, on éprouve vers la région du coeur une dilatation ou un resserrement, qui a fait penser que c’était là le logement de l’âme. Cette âme était quelque chose d’aérien; c’était une figure légère qui se promenait où elle pouvait, jusqu’à ce qu’elle eût retrouvé son corps.
La croyance de la résurrection est beaucoup plus ancienne que les temps historiques. Athalide, fils de Mercure, pouvait mourir et ressusciter à son gré; Esculape rendit la vie à Hippolyte; Hercule, à Alceste. Pélops, ayant été haché en morceaux par son père, fut ressuscité par les dieux. Platon raconte qu’Hérès ressuscita pour quinze jours seulement.
Les pharisiens, chez les Juifs, n’adoptèrent le dogme de la résurrection que très longtemps après Platon.
Il y a dans les Actes des apôtres un fait bien singulier, et bien digne d’attention. Saint Jacques et plusieurs de ses compagnons conseillent à saint Paul d’aller dans le temple de Jérusalem observer toutes les cérémonies de l’ancienne loi, tout chrétien qu’il était, afin que tous sachent, disent-ils, que tout ce qu’on dit de vous est faux, et que vous continuez de garder la loi de Moïse.
Saint Paul alla donc pendant sept jours dans le temple, mais le septième il fut reconnu. On l’accusa d’y être venu avec des étrangers, et de l’avoir profané. Voici comment il se tira d’affaire:
Or Paul sachant qu’une partie de ceux qui étaient là étaient saducéens, et l’autre pharisiens, il s’écria dans l’assemblée: Mes frères, je suis pharisien et fils de pharisien; c’est à cause de l’espérance d’une autre vie et de la résurrection des morts que l’on veut me condamner*. Il n’avait point du tout été question de la résurrection des morts dans toute cette affaire; Paul ne le disait que pour animer les pharisiens et les saducéens les uns contre les autres.
V. 7. Paul ayant parlé de la sorte, il s’émut une dissension entre les pharisiens et les saducéens; et l’assemblée fut divisée.
V. 8. Car les saducéens disent qu’il n’y a ni résurrection, ni ange, ni esprit, au lieu que les pharisiens reconnaissent et l’un et l’autre, etc.
On a prétendu que Job, qui est très ancien, connaissait le dogme de la résurrection. On cite ces paroles: Je sais que mon rédempteur est vivant, et qu’un jour sa rédemption s’élèvera sur moi, ou que je me relèverai de la poussière, que ma peau reviendra, et que je verrai encore Dieu dans ma chair.
Mais plusieurs commentateurs entendent par ces paroles, que Job espère qu’il relèvera bientôt de maladie, et qu’il ne demeurera pas toujours couché sur la terre comme il l’était. La suite prouve assez que cette explication est la véritable; car il s’écrie le moment d’après à ses faux et durs amis: Pourquoi donc dites-vous: Persécutons-le, ou bien, parce que vous direz, parce que nous l’avons persécuté. Cela ne veut-il pas dire: Vous vous repentirez de m’avoir offensé, quand vous me reverrez dans mon premier état de santé et d’opulence? Un malade qui dit, Je me lèverai, ne dit pas, Je ressusciterai. Donner des sens forcés à des passages clairs, c’est le sûr moyen de ne jamais entendre.
Saint Jérôme ne place la naissance de la secte des pharisiens que très peu de temps avant Jésus-Christ. Le rabbin Hillel passe pour le fondateur de la secte pharisienne; et cet Hillel était contemporain de Gamaliel, le maître de saint Paul.
Plusieurs de ces pharisiens croyaient que les Juifs seuls ressusciteraient, et que le reste des hommes n’en valait pas la peine. D’autres ont soutenu qu’on ne ressusciterait que dans la Palestine, et que les corps de ceux qui auront été enterrés ailleurs seront secrètement transportés auprès de Jérusalem pour s’y rejoindre à leur âme. Mais saint Paul, écrivant aux habitants de Thessalonique, leur a dit que le second avènement de Jésus-Christ est pour eux et pour lui, qu’ils en seront témoins.
V. 16. Car aussitôt que le signal aura été donné par l’archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers.
V. 17. Puis nous autres qui sommes vivants, et qui serons demeurés jusqu’alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l’air, et ainsi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur.**
Ce passage important ne prouve-t-il pas évidemment que les premiers chrétiens comptaient voir la fin du monde, comme en effet elle est prédite dans saint Luc, pour le temps même que saint Luc vivait?
Saint Augustin croit que les enfants, et même les enfants mort-nés, ressusciteront dans l’âge de la maturité. Les Origène, les Jérôme, les Athanase, les Basile, n’ont pas cru que les femmes dussent ressusciter avec leur sexe.
Enfin, on a toujours disputé sur ce que nous avons été, sur ce que nous sommes, et sur ce que nous serons

*Acte des apôtres, chap. xxiii, v. 6.
**I. Épître aux Thess., chap. 4.

Moïse – Mose (Originaltext)

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Plusieurs savants ont cru que le Pentateuque ne peut avoir été écrit par Moïse. Ils disent que par l’Écriture même il est avéré que le premier exemplaire connu fut trouvé du temps du roi Josias, et que cet unique exemplaire fut apporté au roi par le secrétaire Saphan. Or, entre Moïse et cette aventure du secrétaire Saphan, il y a 867 années par le comput hébraïque. Car Dieu apparut à Moïse dans le buisson ardent l’an du monde 2213 et le secrétaire Saphan publia le livre de la loi l’an du monde 3380. Ce livre trouvé sous Josias fut inconnu jusqu’au retour de la captivité de Babylone; et il est dit que ce fut Esdras, inspiré de Dieu, qui mit en lumière toutes les saintes Écritures.
Or que ce soit Esdras ou un autre qui ait rédigé ce livre, cela est absolument indifférent dès que le livre est inspiré. Il n’est point dit dans le Pentateuque que Moïse en soit l’auteur: il est donc permis de l’attribuer à un autre homme à qui l’Esprit divin l’aura dicté.
Quelques contradicteurs ajoutent qu’aucun prophète n’a cité les livres du Pentateuque, qu’il n’en est question ni dans les Psaumes, ni dans les livres attribués à Salomon, ni dans Jérémie, ni dans Isaïe, ni enfin dans aucun livre canonique. Les mots qui répondent à ceux de Genèse, Exode, Nombres, Lévitique, Deutéronome, ne se trouvent dans aucun autre écrit, ni de l’ancien ni du nouveau testament.
D’autres, plus hardis, ont fait les questions suivantes.
1°. En quelle langue Moïse aurait-il écrit dans un désert sauvage? Ce ne pouvait être qu’en égyptien; car par ce livre même on voit que Moïse et tout son peuple étaient nés en Égypte. Il est probable qu’ils ne parlaient pas d’autre langue. Les Égyptiens ne se servaient pas encore du papyros; on gravait des hiéroglyphes sur le marbre ou sur le bois. Il est même dit que les tables des commandements furent gravées sur des pierres polies, ce qui demandait des efforts et un temps prodigieux.
2°. Est-il vraisemblable que, dans un désert où le peuple juif n’avait ni cordonnier ni tailleur, et où le Dieu de l’univers était obligé de faire un miracle continuel pour conserver les vieux habits et les vieux souliers des Juifs, il se soit trouvé des hommes assez habiles pour graver les cinq livres du Pentateuque sur le marbre ou sur le bois? On dira qu’on trouva bien des ouvriers qui firent un veau d’or en une nuit, et qui réduisirent ensuite l’or en poudre, qui construisirent le tabernacle, qui l’ornèrent de trente-quatre colonnes d’airain avec des chapiteaux d’argent; qui ourdirent et qui brodèrent des voiles de lin, d’hyacinthe, de pourpre et d’écarlate; mais cela même fortifie l’opinion des contradicteurs. Ils répondent qu’il n’est pas possible que dans un désert où l’on manquait de tout, on ait fait des ouvrages si recherchés; qu’il aurait fallu commencer par faire des souliers et des tuniques; que ceux qui manquent du nécessaire ne donnent point dans le luxe; et que c’est une contradiction évidente de dire qu’il y ait en des fondeurs, des graveurs, des sculpteurs, des teinturiers, des brodeurs, quand on n’avait ni habits, ni sandales, ni pain.
3°. Si Moise avait écrit le premier chapitre de la Genèse, aurait-il été défendu à tous les jeunes gens de lire ce premier chapitre? aurait-on porté si peu de respect au législateur? Si c’était Moïse qui eût dit que Dieu punit l’iniquité des pères jusqu’à la quatrième génération, Ézéchiel aurait-il osé dire le contraire?
4°. Si Moïse avait écrit le Lévitique, aurait-il pu se contredire dans le Deutéronome? Le Lévitique défend d’épouser la femme de son frère, le Deutéronome l’ordonne.
5°. Moïse aurait-il parlé dans son livre de villes qui n’existaient pas de son temps? Aurait-il dit que des villes qui étaient pour lui à l’orient du Jourdain, étaient à l’occident?
6°. Aurait-il assigné quarante-huit villes aux lévites dans un pays où il n’y a jamais eu dix villes, et dans un désert où il a toujours erré sans avoir une maison?
7°. Aurait-il prescrit des règles pour les rois juifs, tandis que non seulement il n’y avait point de rois chez ce peuple, mais qu’ils étaient en horreur, et qu’il n’était pas probable qu’il y en eût jamais? Quoi! Moïse aurait donné des préceptes pour la conduite des rois qui ne vinrent qu’environ huit cents années après lui, et il n’aurait rien dit pour les juges et les pontifes qui lui succédèrent? Cette réflexion ne conduit-elle pas à croire que le Pentateuque a été composé du temps des rois, et que les cérémonies instituées par Moïse n’avaient été qu’une tradition?
8°. Se pourrait-il faire qu’il eût dit aux Juifs, Je vous ai fait sortir au nombre de six cent mille combattants de la terre d’Égypte, sous la protection de votre Dieu? » Les Juifs ne lui auraient-ils pas répondu: « Il faut que vous ayez été bien timide pour ne nous pas mener contre le Pharaon d’Égypte; il ne pouvait pas nous opposer une armée de deux cent mille hommes. Jamais l’Égypte n’a eu tant de soldats sur pied; nous l’aurions vaincu sans peine, nous serions les maîtres de son pays? Quoi! le dieu qui vous parle a égorgé, pour nous faire plaisir, tous les premiers-nés d’Égypte, et s’il y a dans ce pays-là trois cent mille familles, cela fait trois cent mille hommes morts en une nuit pour nous venger; et vous n’avez pas secondé votre dieu! et vous ne nous avez pas donné ce pays fertile que rien ne pouvait défendre! vous nous avez fait sortir de l’Égypte en larrons et en lâches, pour nous faire périr dans les déserts, entre les précipices et les montagnes! Vous pouviez nous conduire au moins par le droit chemin dans cette terre de Canaan sur laquelle nous n’avons nul droit, que vous nous avez promise, et dans laquelle nous n’avons pu encore entrer.
Il était naturel que de la terre de Gessen nous marchassions vers Tyr et Sidon le long de la Méditerranée; mais vous nous faites passer l’isthme de Suez presque tout entier; vous nous faites rentrer en Égypte, remonter jusque par delà Memphis, et nous nous trouvons a Béel-Sephon, au bord de la mer Rouge, tournant le dos à la terre de Canaan, ayant marché quatre-vingts lieues dans cette Égypte que nous voulions éviter, et enfin près de périr entre la mer et l’armée du Pharaon!
Si vous aviez voulu nous livrer à nos ennemis, auriez-vous pris une autre route et d’autres mesures? Dieu nous a sauvés par un miracle, dites-vous; la mer s’est ouverte pour nous laisser passer; mais après une telle faveur fallait-il nous faire mourir de faim et de fatigue dans les déserts horribles d’Étham, de Cadès-Barné, de Mara, d’Élim, d’Horeb, et de Sinaï? Tous nos pères ont péri dans ces solitudes affreuses, et vous venez dire au bout de quarante ans que Dieu a eu soin particulier de nos pères! »
Voilà ce que ces Juifs murmurateurs, ces enfants injustes de Juifs vagabonds, morts dans les déserts, auraient pu dire à Moïse, s’il leur avait lu l’Exode et la Genèse. Et que n’auraient-ils pas dû dire et faire à l’article du veau d’or? Quoi! vous osez nous conter que votre frère fit un veau d’or pour nos pères, quand vous étiez avec Dieu sur la montagne, vous qui tantôt nous dites que vous avez parlé avec Dieu face à face, et tantôt que vous n’avez pu le voir que par derrière! Mais enfin vous étiez avec ce Dieu, et votre frère jette en fonte un veau d’or en un seul jour, et nous le donne pour l’adorer; et, au lieu de punir votre indigne frère, vous le faites notre pontife, et vous ordonnez à vos lévites d’égorger vingt-trois mille hommes de votre peuple! Nos pères l’auraient-ils souffert? se seraient-ils laissé assommer comme des victimes par des prêtres sanguinaires? Vous nous dites que, non content de cette boucherie incroyable, vous avez fait encore massacrer vingt-quatre mille de vos pauvres suivants, parce que l’un d’eux avait couché avec une Madianite, tandis que vous-même avez épousé une Madianite; et vous ajoutez que vous êtes le plus doux de tous les hommes! Encore quelques actions de cette douceur, et il ne serait plus resté personne.
Non, si vous aviez été capable d’une telle cruauté, si vous aviez pu l’exercer, vous seriez le plus barbare de tous les hommes, et tous les supplices ne suffiraient pas pour expier un si étrange crime. »
Ce sont là, à peu près, les objections que font les savants à ceux qui pensent que Moïse est l’auteur du Pentateuque. Mais on leur répond que les voies de Dieu ne sont pas celles des hommes; que Dieu a éprouvé, conduit et abandonné son peuple par une sagesse qui nous est inconnue; que les Juifs eux-mêmes depuis plus de deux mille ans ont cru que Moïse est l’auteur de ces livres; que l’Église, qui a succédé à la synagogue, et qui est infaillible comme elle, a décidé ce point de controverse, et que les savants doivent se taire quand l’Église parle.

Lois civiles et Ecclésiastiques – Staatliche und kirchliche Gesetze (Originaltext)

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On a trouvé dans les papiers d’un jurisconsulte ces notes, qui méritent peut-être un peu d’examen. Que jamais aucune loi ecclésiastique n’ait de force que lorsqu’elle aura la sanction expresse du gouvernement. C’est par ce moyen qu’Athènes et Rome n’eurent jamais de querelles religieuses.

Ces querelles sont le partage des nations barbares ou devenues barbares.

Que le magistrat seul puisse permettre ou prohiber le travail les jours de fête, parce qu’il n’appartient pas à des prêtres de défendre à des hommes de cultiver leurs champs.

Que tout ce qui concerne les mariages dépende uniquement du magistrat, et que les prêtres s’en tiennent à l’auguste fonction de les bénir.

Que le prêt à intérêt soit purement un objet de la loi civile, parce quelle seule préside au commerce.

Que tous les ecclésiastiques soient soumis en tous les cas au gouvernement, parce qu’ils sont sujets de l’État.

Que jamais on n’ait le ridicule honteux de payer à un prêtre étranger la première année du revenu d’une terre que des citoyens ont donnée à un prêtre concitoyen.

Qu’aucun prêtre ne puisse jamais ôter à un citoyen la moindre prérogative, sous prétexte que ce citoyen est pécheur, parce que le prêtre pécheur doit prier pour les pécheurs, et non les juger.

Que les magistrats, les laboureurs et les prêtres payent également les charges de l’État, parce que tous appartiennent également à l’État

Qu’il n’y ait qu’un poids, une mesure, une coutume.

Que les supplices des criminels soient utiles. Un homme pendu n’est bon à rien, et un homme condamné aux ouvrages publics sert encore la patrie, et est une leçon vivante.

Que toute loi soit claire, uniforme et précise: l’interpréter, c’est presque toujours la corrompre.

Que rien ne soit infâme que le vice.

Que les impôts ne soient jamais que proportionnels.

Que la loi ne soit jamais en contradiction avec l’usage: car si l’usage est bon, la lui ne vaut rien

Des Lois- Über die Gesetze (Originaltext)

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Du temps de Vespasien et de Tite, pendant que les Romains éventraient les Juifs, un Israélite fort riche, qui ne voulait point être éventré, s’enfuit avec tout l’or qu’il avait gagné à son métier d’usurier, et emmena vers Éziongaber toute sa famille, qui consistait en sa vieille femme, un fils et une fille; il avait dans son train deux eunuques, dont l’un servait de cuisinier, l’autre était laboureur et vigneron. Un bon essénien, qui savait par coeur le Pentateuque, lui servait d’aumônier: tout cela s’embarqua dans le port d’Éziongaber, traversa la mer qu’on nomme Rouge, et qui ne l’est point, et entra dans le golfe Persique, pour aller chercher la terre d’Ophir, sans savoir où elle était. Vous croyez bien qu’il survint une horrible tempête, qui poussa la famille hébraïque vers les côtes des Indes; le vaisseau fit naufrage à une des îles Maldives, nommée aujourd’hui Padrabranca, laquelle était alors déserte.

Le vieux richard et la vieille se noyèrent; le fils, la fille, les deux eunuques et l’aumônier se sauvèrent; on tira comme on put quelques provisions du vaisseau, on bâtit de petites cabanes dans l’île, et on y vécut assez commodément. Vous savez que l’ile de Padrabranca est à cinq degrés de la ligne, et qu’on y trouve les plus gros cocos et les meilleurs ananas du monde; il était fort doux d’y vivre dans le temps qu’on égorgeait ailleurs le reste de la nation chérie: mais l’essénien pleurait en considérant que peut-être il ne restait plus qu’eux de Juifs sur la terre, et que la semence d’Abraham allait finir.

Il ne tient qu’à vous de la susciter, dit le jeune Juif; épousez ma soeur. — Je le voudrais bien, dit l’aumônier, mais la loi s’y oppose. Je suis essénien; j’ai fait voeu de ne me jamais marier: la loi porte qu’on doit accomplir son voeu; la race juive finira si elle veut, mais certainement je n’épouserai point votre soeur, toute jolie qu’elle est.

Mes deux eunuques ne peuvent pas lui faire d’enfants, reprit le Juif: je lui en ferai donc, s’il vous plaît, et ce sera vous qui bénirez le mariage.

J’aimerais mieux cent fois être éventré par les soldats romains, dit l’aumônier, que de servir à vous faire commettre un inceste: si c’était votre soeur de père, encore passe, la loi le permet; mais elle est votre soeur de mère, cela est abominalbe.

Je conçois bien, répondit le jeune homme, que ce serait un crime à Jérusalem, où je trouverais d’autres filles; mais dans l’île de Padrabranca, où je ne vois que des cocos, des ananas et des huîtres, je crois que la chose est très permise. Le Juif épousa donc sa soeur, et en eut une fille, malgré les protestations de l’essénien: ce fut l’unique fruit d’un mariage que l’un croyait très légitime, et l’autre abominable.

Au bout de quatorze ans, la mère mourut; le père dit à l’aumônier: Vous êtes-vous enfin défait de vos anciens préjugés? Voulez-vous épouser ma fille? — Dieu m’en préserve! Dit l’éssénien. — Oh bien! Je l’épouserai donc, moi, dit le père: il en sera ce qui pourra; mais je ne veux pas que la semence d’Abraham soit réduite à rien. L’essénien, épouvanté de cet horrible propos, ne voulut plus demeurer avec un homme qui manquait à la loi, et s’enfuit. Le nouveau marié avait beau lui crier: Demeurez, mon ami; j’observe la loi naturelle, je sers la patrie, n’abandonnez pas vos amis! L’autre le laissait crier, ayant toujours la loi dans la tête, et s’enfuit à la nage dans l’île voisine.

C’était la grand île d’Attole, très peuplée et très civilisée; dès qu’il aborda, on le fit esclave. Il apprit à balbutier la langue d’Attole; il se plaignit très amèrement le la façon inhospitalière dont on l’avait reçu; on lui dit que c’était la loi, et que depuis que l’île avait été sur le point d’être surprise par les habitants de celle d’Ada, on avait sagement réglé que tous les étrangers qui aborderaient dans Attole seraient mis en servitude. Ce ne peut être une loi, dit l’essénien, car elle n’est pas dans le Pentateuque; on lui répondit qu’elle était dans le Digeste du pays, et il demeura esclave: il avait heuresement un très bon maître fort riche, qui le traita bien, et auquel il s’attacha beaucoup.

Des assassins vinrent un jour pour tuer le maître et voler ses trésors; ils demandèrent aus esclaves s’il était à la maison, et s’il avait beaucoup d’argent. Nous vous jurons, dirent les esclaves, qu’il n’a point d’argent, et qu’il n’est point à la maison; mais l’essénien dit: La loi ne permet point de mentir; je vous jure qu’il est à la maison, et qu’il a beaucoup d’argent: ainsi le maître fut volé et tué. Les esclaves accusèrent l’essénien devant les juges d’avoir trahi son patron; l’essénien dit qu’il ne voulait mentir et qu’il ne mentirait pour rien au monde; et il fut pendu.

On me contait cette histoire et bien d’autres semblables dans le dernier voyage que je fis des Indes en France. Quand je fus arrivé, j’allai à Versailles pour quelques affaires: je vis passer une belle femme suivie de plusieurs belles femmes. Quelle est cette belle femme? dis-je à mon avocat en parlement, qui était venu avec moi; car j’avais un procès en parlement à Paris, pour mes habits qu’on m’avait faits aux Indes, et je voulais toujours avoir mon avocat à mes côtés. C’est la fille du roi, dit-il; elle est charmante et bienfaisante; c’est bien dommage que, dans aucun cas, elle ne puisse jamais être reine de France. — Quoi! lui dis-je, si on avait le malheur de perdre tous ses parents et les princes du sang (ce qu’à Dieu ne plaise!), elle ne pourrait hériter du royaume de son père? — Non, dit l’avocat, la loi salique s’y oppose formellement. — Et qui a fait cette loi salique? Dis-je à l’avocat. — Je n’en sais rien, dit-il; mais on prétend que chez un ancien peuple nommé les Saliens, qui ne savaient ni lire ni écrire, il y avait une loi écrite qui disait qu’en terre salique fille n’héritait pas d’un alleu; et cette loi a été adoptée en terre non salique. — Et moi, lui dis-je, je la casse; vous m’avez assuré que cette princesse est charmante et bienfaisante; donc elle aurait un droit incontestable à la couronne, si le malheur arrivait qu’il ne restât qu’elle du sang royal: ma mère a hérité de son père, et je veux que cette princesse hérite du sien.

Le lendemain mon procès fut jugé en une chambre du parlement, et je perdis tout d’une voix; mon avocat me dit que je l’aurais gagné tout d’une voix en une autre chambre. Voilà qui est bien comique, lui dis-je: ainsi donc chaque chambre, chaque loi. —Oui, dit-il, il y a vingt-cinq commentaires sur la coutume de Paris; c’est-à-dire, on a prouvé vingt-cinq fois que la coutume de Paris est équivoque; et s’il y avait vingt-cinq chambres de juges, il y aurait vingt-cinq jurisprudences différentes. Nous avons, continua-t-il, à quinze lieues de Paris, une province nommé Normandie, où vous auriez été tout autrement jugé qu’ici. Cela me donna envie de voir la Normandie. J’y allai avec un de mes frères: nous rencontrâmes à la primière auberge un jeune homme qui se désespérait; je lui demandai quelle était sa disgrâce, il me répondit que c’était d’avoir un frère aîné. Où est donc le grand malheur d’avoir un frère? Lui dis-je; mon frère est mon aîné, et nous vivons très bien ensemble. — Hélas! Monsieur, me dit-il, la loi donne tout ici aux aînés et ne laisse rien aux cadets. — Vous avez raison, lui dis-je, d’être fâché; chez nous on partage également; et quelquefois les frères ne s’en aiment pas mieux.

Ces petites aventures me firent faire de belles et profondes réflexions sur les lois, et je vis qu’il en est d’elles comme de nos vêtements; il m’a fallu porter un doliman à Constantinople, et un justaucorps à Paris.

Si toutes les lois humaines sont le convention, disait-je, il n’è a qu’à bien faire ses marchés. Les bourgeois de Delhi et d’Agra disent qu’ils ont fait un très mauvais marché avec Tamerlan: les bourgeois de Londres se félicitent d’avoir fait un très bon marché avec le roi Guillaume d’Orange. Un citoyen de Londres me disait un jour: C’est la nécessité qui fait les lois, et la force les fait observer. Je lui demandai si la force ne faisait pas aussi quelquefois des lois, et si Guillaume le bâtard et le conquérant ne leur avait pas donné des ordres sans faire de marché avec eux. Oui, dit-il, nous étions des boeufs alors; Guillaume nous mit un joug, et nous fit marcher à coups d’aiguillon; nous avons depuis été changés en hommes, mais les cornes nous sont restées, et nous en frappons quiconque veut nous faire labourer pour lui et non pas pour nous.

Plein de toutes ces réflexions, je me complaisais à penser qu’il y a une loi naturelle indépendante de toutes les conventions humaines: le fruit de mon travail doit être à moi; je dois honorer mon père et ma mère; je n’ai nul droit sur la vie de mon prochain, et mon prochain n’en a point sur la mienne, etc. Mais quand je songeai que, depuis Chodorlahomor, jusqu’à Mentzel(41), colonel des housards, chacun tue loyalement et pille son prochain avec une patente dans sa poche, je fus très affligé.

On me dit que parmi les voleurs il y avait des lois, et qu’il y en avait aussi à la guerre. Je demandai ce que c’était que ces lois de la guerre. C’est, me dit-on, de pendre un brave officier qui aura tenu dans un mauvais poste sans canon contre une armée royale; c’est de faire pendre un prisonnier, si on a pendu un des vôtres; c’est de mettre à feu et à sang les villages qui n’auront pas apporté toute leur subsistance au jour marqué, selon les ordres du gracieux souverain du voisinage. — Bon, dis-je, voilà l’Esprit des lois.

Après avoir été bien instruit, je découvris qu’il y a de sages lois par lesquelles un berger est condamné à neuf ans de galère pour avoir donné un peu de sel étranger à ses moutons. Mon voisin a été ruiné par un procès pour deux chênes qui lui appartenaient, qu’il avait fait couper dans son bois, parce qu’il n’avait pu observer une formalité qu’il n’avait pu connaître: sa femme est morte dans la misère, et son fils traîne une vie plus malheureuse. J’avoue que ces lois sont justes, quoique leur exécution soit un peu dure; mais je sais mauvais gré aux lois qui autorisent cent mille hommes à aller loyalement égorger cent mille voisins. Il m’a paru que la plupart des hommes ont reçu de la nature assez de sens commun pour faire des lois, mais que tout le monde n’a pas assez de justice pour faire de bonnes lois.

Assemblez d’un bout de la terre à l’autre les simples et tranquilles agriculteurs; ils conviendront tous aisément qu’il doit être permis de vendre à ses voisins l’excédant de son blé, et que la loi contraire est inhumaine et absurde; que les monnaies représentatives des denrées ne doivent pas être plus altérées que les fruits de la terre; qu’un père de famille doit être le maître chez soi; que la religion doit rassembler les hommes pour les unir, et non pour en faire des fanatiques et des persécuteurs; que ceux qui travaillent ne doivent pas se priver du fruit de leurs travaux pour en doter la superstition et l’oisiveté: ils feront en une heure trente lois de cette espèce, toutes utiles au genre humain.

Mais que Tamerlan arrive et subjugue l’Inde, alors vous ne verrez plus que des lois arbitraires. L’une accablera une province pour enrichir un publicain de Tamerlan; l’autre fera un crime de lèse-majesté d’avoir mal parlé de la maîtresse du premier valet de chambre d’un raïa; une troisième ravira la moitié de la récolte de l’agriculteur, et lui contestera le reste; il y aura enfin des lois par lesquelles un appariteur tartare viendra saisir vos enfants au berceau, fera du plus rubuste un soldat, et du plus faible un eunuque, et laissera le père et la mère sans secours et sans consolation.

Or lequel vaut le mieux d’être le chien de Tamerlan ou son sujet? Il est clair que la condition de son chien est fort supérieure

De la Liberté – Über die Freiheit (Originaltext)

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A. Voilà une batterie de canons qui tire à nos oreilles; avez-vous la liberté de l’entendre ou de ne l’entendre pas?

B. Sans doute, je ne puis pas m’empêcher de l’entendre.

A. Voulez-vous que ce canon emporte votre tête et celles de votre femme et de votre fille, qui se promènent avec vous?

B. Quelle proposition me faites-vous là? je ne peux pas, tant que je suis de sens rassis, vouloir chose pareille; cela m’est impossible.

A. Bon; vous entendez nécessairement ce canon, et vous voulez nécessairement ne pas mourir vous et votre famille d’un coup de canon à la promenade; vous n’avez ni le pouvoir de ne pas entendre, ni le pouvoir de vouloir rester ici?

B. Cela est clair.

A. Vous avez en conséquence fait une trentaine de pas pour être à l’abri du canon, vous avez eu le pouvoir de marcher avec moi ce peu de pas?

B. Cela est encore très clair.

A. Si vous aviez été paralytique, vous n’auriez pu éviter d’être exposé à cette batterie, vous n’auriez pas eu le pouvoir d’être où vous êtes; vous auriez nécessairement entendu et reçu un coup de canon; et vous seriez mort nécessairement?

B. Rien n’est plus véritable.

A. En quoi consiste donc votre liberté, si ce n’est dans le pouvoir que votre individu a exercé de faire ce que votre volonté exigeait d’une nécessité absolue?

B. Vous m’embarrassez; la liberté n’est donc autre chose que le pouvoir de faire ce que je veux?

A. Réfléchissez-y, et voyez si la liberté peut être entendue autrement.

B. En ce cas, mon chien de chasse est aussi libre que moi; il a nécessairement la volonté de courir quand il voit un lièvre, et le pouvoir de courir s’il n’a pas mal aux jambes. Je n’ai donc rien au-dessus de mon chien; vous me réduisez à l’état des bêtes.

A. Voilà les pauvres sophismes des pauvres sophistes qui vous ont instruit. Vous voilà bien malade d’être libre comme votre chien. Ne mangez-vous pas, ne dormez-vous pas, ne propagez-vous pas comme lui, à l’attitude près? Voudriez-vous avoir l’odorat autrement que par le nez? Pourquoi voudriez-vous avoir la liberté autrement que votre chien?

B. Mais j’ai une âme qui raisonne beaucoup, et mon chien ne raisonne guère. Il n’a presque que des idées simples, et moi j’ai mille idées métaphysiques.

A. Eh bien, vous êtes mille fois plus libre que lui; c’est-à-dire vous avez mille fois plus de pouvoir que lui: mais vous n’êtes pas libre autrement que lui.

B. Quoi! je ne suis pas libre de vouloir ce que je veux?

A. Qu’entendez-vous par là?

B. J’entends ce que tout le monde entend. Ne dit-on pas tous les jours, les volontés sont libres?

A. Un proverbe n’est pas une raison; expliquez-vous mieux.

B. J’entends que je suis libre de vouloir comme il me plaira.

A. Avec votre permission, cela n’a pas de sens; ne voyez-vous pas qu’il est ridicule de dire, je veux vouloir? Vous voulez nécessairement, en conséquence des idées qui se sont présentées à vous. Voulez-vous vous marier, oui ou non?

B. Mais si je vous disais que je ne veux ni l’un ni l’autre?

A. Vous répondriez comme celui qui disait: « Les uns croient le cardinal Mazarin mort, les autres le croient vivant, et moi je ne crois ni l’un ni l’autre. »

B. Eh bien, je veux me marier.

A. Ah! c’est répondre cela. Pourquoi voulez-vous vous marier?

B. Parce que je suis amoureux d’une jeune fille, belle, douce, bien élevée, assez riche, qui chante très bien, dont les parents sont de très honnêtes gens, et que je me flatte d’être aimé d’elle, et fort bien venu de sa famille.

A. Voilà une raison. Vous voyez que vous ne pouvez vouloir sans raison. Je vous déclare que vous êtes libre de vous marier; c’est-à-dire que vous avez le pouvoir de signer le contrat, de faire la noce, et de coucher avec votre femme.

B. Comment! je ne peux vouloir sans raison? Et que deviendra cet autre proverbe: Sit pro ratione voluntas; ma volonté est ma raison, je veux parce que je veux?

A. Cela est absurde, mon cher ami; il y aurait en vous un effet sans cause.

B. Quoi! lorsque je joue à pair ou non, j’ai une raison de choisir pair plutôt qu’impair?

A. Oui, sans doute.

B. Et quelle est cette raison, s’il vous plaît?

A. C’est que l’idée de pair s’est présentée à votre esprit plutôt que l’idée opposée. Il serait plaisant qu’il y eût des cas ou vous voulez parcs qu’il y a une cause de vouloir, et qu’il y eût quelques cas ou vous voulussiez sans cause. Quand vous voulez vous marier, vous en sentez la raison dominante évidemment; vous ne la sentez pas quand vous jouez à pair ou non et cependant il faut bien qu’il y en ait une.

B. Mais, encore une fois, je ne suis donc pas libre?

A. Votre volonté n’est pas libre, mais vos actions le sont. Vous êtes libre de faire quand vous avez le pouvoir de faire.

B. Mais tous les livres que j’ai lus sur la liberté d’indifférence…
A. sont des sotties; il ny pas point de liberté d’indifference, c’est un mot destitute de sens, inventé par des gens qui n’en savaient guères..

Inondation – Überflutung (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Inondation – Überflutung aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Y a-t-il en un temps où le globe ait été entièrement inondé? Cela est physiquement impossible. Ils se peut que successivement la mer ait couvert tous les terrains l’un après l’autre; et cela ne peut être arrivé que par une gradation lente, dans une multitude prodigieuse de siècles. La mer, en cinq cents années de temps, s’est retirée d’Aigues-Mortes, de Fréjus, de Ravenne, qui étaient de grands ports, et a laissé environ deux lieues de terrain à sec. Par cette progression, il est évident qu’il lui faudrait deux millions deux cent cinquante mille ans pour faire le tour de notre globe. Ce qui est très remarquable, c’est que cette période approche fort de celle qu’il faut à l’axe de la terre pour se relever et pour coïncider avec l’équateur; mouvement très vraisemblable, qu’on commence depuis cinquante ans à soupçonner, et qui ne peut s’effectuer que dans l’espace de deux millions et plus de trois cent mille années.
Les lits, les couches de coquilles, qu’on a découverts à quelques lieues de la mer, sont une preuve incontestable qu’elle a déposé peu à peu ses productions maritimes sur des terrains qui étaient autrefois les rivages de l’océan; mais que l’eau ait couvert entièrement tout le globe à la fois, c’est une chimère absurde en physique, démontrée impossible par les lois de la gravitation, par les lois des fluides, par l’insuffisance de la quantité d’eau. Ce n’est pas qu’on prétende donner la moindre atteinte à la grande vérité du déluge universel, rapporté dans le Pentateuque: au contraire, c’est un miracle; donc il faut le croire: c’est un miracle; donc il n’a pu être exécuté par les lois physiques.
Tout est miracle dans l’histoire du déluge. Miracle que quarante jours de pluie aient inondé les quatre parties du monde, et que l’eau se soit élevée de quinze coudées au-dessus de toutes les plus hautes montagnes; miracle qu’il y ait eu des cataractes, des portes, des ouvertures dans le ciel; miracle que tous les animaux se soient rendus dans l’arche de toutes les parties du monde; miracle que Noé ait trouvé de quoi les nourrir pendant dix mois; miracle que tous les animaux aient tenu dans l’arche avec leurs provisions; miracle que la plupart n’y soient pas morts; miracle qu’ils aient trouvé de quoi se nourrir en sortant de l’arche; miracle encore, mais d’une autre espèce, qu’un nommé Le Pelletier ait cru expliquer comment tous les animaux ont pu tenir et se nourrir naturellement dans l’arche de Noé.
Or, l’histoire du déluge étant la chose la plus miraculeuse dont on ait jamais entendu parler, il serait insensé de l’expliquer: ce sont de ces mystères qu’on croit par la foi, et la foi consiste à croire ce que la raison ne croit pas; ce qui est encore un autre miracle.
Ainsi l’histoire du déluge est comme celle de la tour de Babel, de l’ânesse de Balaam, de la chute de Jéricho au son des trompettes, des eaux changées en sang, du passage de la mer Rouge, et de tous les prodiges que Dieu daigna faire en faveur des élus de son peuple. Ce sont des profondeurs que l’esprit humain ne peut sonder.

Idole, Idolâtre, Idolâtrie – Götzenbild, Götzendiener (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Idole, Idolâtre, Idolâtrie – Götzenbild, Götzendiener aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Idole, vient du grec eidos, figure; eidolos, représentation d’une figure, latreuein, servir, révérer, adorer. Ce mot adorer est latin et a beaucoup d’acceptions différentes: il signifie porter la main à la bouche en parlant avec respect, se courber, se mettre à genoux, saluer, et enfin communément, rendre un culte suprême.
Il est utile de remarquer ici que le Dictionnaire de Trévoux commence cet article par dire que tous les païens étaient idolâtres, et que les Indiens sont encore des peuples idolâtres. Premièrement, on n’appela personne païen avant Théodose le Jeune. Ce nom fut donné alors aux habitants des bourgs d’Italie, pagorum incolae, pagani, qui conservèrent leur ancienne religion. Secondement, l’Indoustan est mahométan; et les mahométans sont les implacables ennemis des images et de l’idolâtrie. Troisièmement, on ne doit point appeler idolâtres beaucoup de peuples de l’Inde qui sont de l’ancienne religion des Parsis, ni certaines castes qui n’ont point d’idole.

E X A M E N

Y a-t-il jamais eu un gouvernement idolâtre?


Il paraît que jamais il n’y a eu aucun peuple sur la terre qui ait pris ce nom d’idolâtre. Ce mot est une injure, un terme outrageant, tel que celui de gavache que les Espagnols donnaient autrefois aux Français, et celui de maranes que les Français donnaient aux Espagnols, si on avait demandé au sénat de Rome, à l’aréopage d’Athènes, à la cour des rois de Perses: Êtes-vous idolâtres? ils auraient à peine entendu cette question. Nul n’aurait répondu: « Nous adorons des images, des idoles. » On ne trouve ce mot idolâtre, idolâtrie, ni dans Homère, ni dans Hésiode, ni dans Hérodote, ni dans aucun auteur de la religion des gentils. Il n’y a jamais eu aucun édit, aucune loi qui ordonnât qu’on adorât des idoles, qu’on les servît en dieux, qu’on les regardât comme des Dieux.
Quand les capitaines romains et carthaginois faisaient un traité, ils attestaient tous leurs dieux, « C’est en leur présence, disaient-ils, que nous jurons la paix. » Or, les statues de tous ces dieux, dont le dénombrement était très long, n’étaient pas dans la tente des généraux. Ils regardaient ou feignaient les dieux comme présents aux actions des hommes, comme témoins, comme juges. Et ce n’est pas assurément le simulacre qui constituait la divinité.
De quel oeil voyaient-ils donc les statues de leurs fausses divinités dans les temples? du même oeil, s’il est permis de s’exprimer ainsi, que les catholiques voient les images, objets de leur vénération. L’erreur n’était pas d’adorer un morceau de bois ou de marbre, mais d’adorer une fausse divinité représentée par ce bois et ce marbre. La différence entre eux et les catholiques n’est pas qu’ils eussent des images et que les catholiques n’en aient point; la différence est que leurs images figuraient des êtres fantastiques dans une religion fausse, et que les images chrétiennes figurent des êtres réels dans une religion véritable. Les Grecs avaient la statue d’Hercule, et nous celle de saint Christophe; ils avaient Esculape et sa chèvre, et nous saint Roch et son chien; ils avaient Mars et sa lance, et nous St. Antoine de Padoue et St. Jacques de Compostela.
Quand le consul Pline adresse les prières aux Dieux immortels, dans l’exorde du panégyrique de Trajan, ce n’est pas à des images qu’il les adresse. Ces images n’étaient pas immortelles.
Ni les derniers temps du paganisme; ni les plus reculés, n’offrent un seul fait qui puisse faire conclure qu’on adorât une idole. Homère ne parle que des dieux qui habitent le haut Olympe. Le palladium, quoique tombé du ciel, n’était qu’un gage sacré de la protection de Pallas; c’était elle qu’on vénérait dans le palladium: c’était notre sainte ampoule
Mais les Romains et les Grecs se mettaient à genoux devant des statues, leur donnaient des couronnes, de l’encens, des fleurs, les promenaient en triomphe dans les places publiques. Les catholiques ont sanctifié ces coutumes, et ne se disent point idolâtres.
Les femmes, en temps de sécheresse, portaient les statues des dieux après avoir jeûné. Elles marchaient pieds nus, les cheveux épars; et aussitôt il pleuvait à seaux, comme dit Pétrone: Statim urceatim pluebat. N’a-t-on pas consacré cet usage, illégitime chez les gentils, et légitime parmi les catholiques? Dans combien de villes ne porte-t-on pas nu-pieds des charognes pour obtenir les bénédictions du ciel par leur intercession? Si un Turc, un lettré chinois était témoin de ces cérémonies, il pourrait par ignorance accuser les Italiens de mettre leur confiance dans les simulacres qu’ils promènent ainsi en procession, mais il suffirait d’un mot pour le détromper.
On est surpris du nombre prodigieux de déclamations débitées dans tous les temps contre l’idolâtrie des Romains et des Grecs; et ensuite on est plus surpris encore quand on voit qu’ils n’étaient pas idolâtres.
Il y avait des temples plus privilégiés que les autres. La grande Diane d’Éphèse avait plus de réputation qu’une Diane de village. Il se faisait plus de miracles dans le temple d’Esculape à Épidaure que dans un autre de ses temples. La statue de Jupiter Olympien attirait plus d’offrandes que celle de Jupiter Paphlagonien. Mais puisqu’il faut toujours opposer ici les coutumes d’une religion vraie à celle d’une religion fausse, n’avons-nous pas eu depuis plusieurs siècles plus de dévotion à certains autels qu’à d’autres?
Ne portons-nous pas plus d’offrandes à Notre-Dame de Lorette qu‘à Notre-Dame des Neiges? C’est à nous à voir si on doit saisir ce prétexte pour nous accuser d’idolâtrie?
Il en était absolument de même chez les païens: on n’avait imaginé qu’une seule divinité, un seul Apollon, et non pas autant d’Apollons et de Dianes qu’ils avaient de temples et de statues. Il est donc prouvé, autant qu’un point d’histoire peut l’être, que les anciens ne croyaient pas qu’une statue fut une divinité, que le culte ne pouvait être rapporté à cette statue, à cette idole et par conséquent les anciens n’étaient point idolâtres. C’est à nous à voir si on doit saisir ce prétexte pour nous accuser d’idolâtrie.
On n’avait imaginé qu’une seule Diane, un seul Apollon, un seul Esculape, non pas autant d’Apollons, de Dianes et d’Esculapes qu’ils avaient de temples et de statues. Il est donc prouvé, autant qu’un point d’histoire peut l’être. Que les anciens ne croyaient pas que une statue fût une divinité, que le culte ne pouvait être rapporté à cette statue, à cette idole, et que par conséquent les anciens n’étaient pas idolâtres.
Une populace grossière et superstitieuse qui ne raisonnait point, qui ne savait ni douter ni nier, ni croire, qui courait au temple par oisiveté, et parce que les petits y sont égaux aux grands, qui portait son offrande par coutume, qui parlait continuellement de miracles sans en avoir examiné aucun, et qui n’était guère au-dessus des victimes qu’elle amenait; cette populace, dis-je, pouvait bien, à la vue de la grande Diane et de Jupiter tonnant, être frappée d’une horreur religieuse, et adorer, sans le savoir, la statue même; c’est ce qui est arrivé quelquefois dans nos temples à nos paysans grossiers; et on n’a pas manqué de les instruire que c’est aux bienheureux, aux mortels reçus dans le ciel qu’ils doivent demander leur intercession, et non à des figures de bois et de Pierre et qu’ils ne doivent adorer que Dieu seul.
Les Grecs et les Romains augmentèrent le nombre de leurs dieux par leurs apothéoses. Les Grecs divinisaient les conquérants, comme Bacchus, Hercule, Persée. Rome dressa des autels à ses empereurs. Nos apothéoses sont d’un genre différent. Nous avons des Saints au lieu de leurs demi-Dieux, de leurs Dieux secondaires, mais nous n’avons égard ni au rang ni aux conquêtes. Nous avons élevé des temples à des hommes simplement vertueux, qui seraient ignorés sur la terre s’ils n’étaient placés dans le ciel. Les apothéoses des anciens sont faites par la flatterie, les nôtres par le respect pour la vertu. Mais ces anciennes apothéoses sont encore une preuve convaincante que les Grecs et les Romains n’étaient point proprement idolâtres. Il est clair qu’ils n’admettaient plus une vertu divine à la statue d’Auguste et de Claudius, que dans leurs médailles.
Cicéron, dans ses ouvrages philosophiques, ne laisse pas soupçonner seulement qu’on puisse se méprendre aux statues des dieux, et les confondre avec les dieux mêmes. Ses interlocuteurs foudroient la religion établie; mais aucun d’eux n’imagine d’accuser les Romains de prendre du marbre et de l’airain pour des divinités. Lucrèce ne reproche cette sottise à personne, lui qui reproche tout aux superstitieux. Donc, encore une fois, cette opinion n’existait pas, on n’en avait aucune idée; il n’y avait point d’idolâtres.
Horace fait parler une statue de Priape, il lui fait dire: J’étais autrefois un tronc de figuier; un charpentier, ne sachant s’il ferait de moi un dieu ou un banc, se détermina enfin a me faire Dieu. Que conclure de cette plaisanterie? Priape était de ces divinités subalternes, abandonnées aux railleurs; et cette plaisanterie même est la preuve la plus forte que cette figure de Priape, qu’on mettait dans les potagers pour effrayer les oiseaux, n’était pas fort révérée.
Dacier, en se livrant à l’esprit commentateur, n’a pas manqué d’observer que Baruch avait prédit cette aventure, en disant: Ils ne seront que ce que voudront les ouvriers; mais il pouvait observer aussi qu’on en peut dire autant de toutes les statues.
On peut d’un bloc de marbre tirer tout aussi bien une cuvette qu’une figure d’Alexandre ou de Jupiter, ou de quelque autre chose plus respectable. La matière dont étaient formés les chérubins du Saint des saints aurait pu servir également aux fonctions les plus viles. Un trône, un autel, en sont-ils moins révérés parce que l’ouvrier en pouvait faire une table de cuisine?
Dacier, au lieu de conclure que les Romains adoraient la statue de Priape, et que Baruch l’avait prédit, devait donc conclure que les Romains s’en moquaient. Consultez tous les auteurs qui parlent des statues de leurs dieux, vous n’en trouverez aucun qui parle d’idolâtrie; ils disent expressément le contraire. Vous voyez dans:
Qui finxit sacros auro vel marmore vultus,
Non facit ille deos;


Dans Ovide:
Colitur pro Jove forma Jovis.

Dans Stace:
Nulla autem effigies, nulli commissa metallo.
Forma Dei; mentes habitare ac numina gaudet.


Dans Lucain:
Estne Dei sedes, nisi terra et pontus et aer?

On ferait un volume de tous les passages qui déposent que des images n’étaient que des images.
Il n’y a que le cas où les statues rendaient des oracles qui ait pu faire penser que ces statues avaient en elles quelque chose de divin. Mais certainement l’opinion régnante était que les dieux avaient choisi certains autels, certains simulacres pour y venir résider quelquefois, pour y donner audience aux hommes, pour leur répondre. On ne voit dans Homère et dans les choeurs des tragédies grecques que des prières à Apollon qui rend ses oracles sur les montagnes, en tel temple, en telle ville; il n’y a pas dans toute l’antiquité la moindre trace d’une prière adressée à une statue; si on croyait que l’esprit divin préférait quelques temples, quelques images, comme on croyait aussi qu’il préférait quelques hommes, la chose était certainement possible; ce n’était qu’une erreur de fait. Combien avons-nous d’images miraculeuses! Les anciens se vantaient d’avoir ce que nous possédons en effet; et si nous ne sommes point idolâtres, de quel droit dirons-nous qu’ils l’ont été?
Ceux qui professaient la magie, qui la croyaient une science, ou qui feignaient de le croire, prétendaient avoir le secret de faire descendre les dieux dans les statues; non pas les grands dieux, mais les dieux secondaires, les génies. C’est ce que Mercure Trimégiste appelait faire des dieux; et c’est ce que saint Augustin réfute dans sa Cité de Dieu. Mais cela même montre évidemment que les simulacres n’avaient rien en eux de divin, puisqu’il fallait qu’un magicien les animât; et il me semble qu’il arrivait bien rarement qu’un magicien fût assez habile pour donner une âme à une statue, pour la faire parler.
En un mot, les images des dieux n’étaient point des dieux. Jupiter, et non pas son image, lançait le tonnerre; ce n’était pas la statue de Neptune qui soulevait les mers, ni celle d’Apollon qui donnait la lumière. Les Grecs et les Romains étaient des gentils, des polythéistes, et n’étaient point des idolâtres.
Si les Perses, les Sabéens, les Égyptiens, les Tartares, les Turcs, ont été idolâtres; et de quelle antiquité est l’origine des simulacres appelés idoles. Histoire de leur culte.


C’est une grande erreur d’appeler idolâtres les peuples qui rendirent un culte au soleil et aux étoiles. Ces nations n’eurent longtemps ni simulacres ni temples. Si elles se trompèrent, c’est en rendant aux astres ce qu’elles devaient au créateur des astres. Encore le dogme de Zoroastre ou Zerdust, recueilli dans le Sadder, enseigne-t-il un Être suprême, vengeur et rémunérateur; et cela est bien loin de l’idolâtrie. Le gouvernement de la Chine n’a jamais eu aucune idole; il a toujours conservé le culte simple du maître du ciel Kingtien.
Gengis-kan chez les Tartares n’était point idolâtre, et n’avait aucun simulacre. Les musulmans, qui remplissent la Grèce, l’Asie-Mineure, la Syrie, la Perse, l’Inde et l’Afrique, appellent les chrétiens idolâtres, giaours, parce qu’ils croient que les chrétiens rendent un culte aux images. Ils brisèrent plusieurs statues qu’ils trouvèrent à Constantinople, dans Sainte-Sophie et dans l’église des Saints-Apôtres et dans d’autres, qu’ils convertirent en mosquées. L’apparence les trompa comme elle trompe toujours les hommes, et leur fit croire que des temples dédiés à des saints qui avaient été hommes autrefois, des images de ces saints révérées à genoux, des miracles opérés dans ces temples, étaient des preuves invincibles de l’idolâtrie la plus complète; cependant il n’en est rien. Les chrétiens n’adorent en effet qu’un seul Dieu, et ne révèrent dans les bienheureux que la vertu même de Dieu, qui gît dans ses saints. Les iconoclastes et les protestants ont fait le même reproche d’idolâtrie à l’Église, et on leur a fait la même réponse.
Comme les hommes ont eu très rarement des idées précises. et ont encore moins exprimé leurs idées par des mots précis et sans équivoque, nous appelâmes du nom d’idolâtres les gentils et surtout les polythéistes. On a écrit des volumes immenses, on a débité des sentiments divers sur l’origine de ce culte rendu à Dieu ou à plusieurs dieux sous des figures sensibles: cette multitude de livres et d’opinions ne prouve que l’ignorance.
On ne sait pas qui inventa les habits et les chaussures, et on veut savoir qui le premier inventa les idoles! Qu’importe un passage de Sanchoniaton, qui vivait avant la guerre de Troye? que nous apprend-il, quand il dit que le chaos, l’esprit, c’est-à-dire le souffle, amoureux de ses principes. en tira le limon, qu’il rendit l’air lumineux, que le vent Colp et sa femme Baü engendrèrent Eon, qu’Eon engendra Genos, que Cronos, leur descendant, avait deux yeux par derrière comme par devant, qu’il devint dieu, et qu’il donna l’Égypte à son fils Taut? voilà un des plus respectables monuments de l’antiquité.
Orphée ne nous en apprendra pas davantage dans sa Théogonie, que Damascius nous a conservée. Il représente le principe du monde sous la figure d’un dragon à deux têtes, l’une de taureau, l’autre de lion, un visage au milieu, qu’il appelle visage-dieu, et des ailes dorées aux épaules.
Mais vous pouvez de ces idées bizarres tirer deux grandes vérités: l’une, que les images sensibles et les hiéroglyphes sont de l’antiquité la plus haute; l’autre, que tous les anciens philosophes ont reconnu un premier principe.
Quant au polythéisme, le bon sens vous dira que dès qu’il y a eu des hommes, c’est-à-dire des animaux faibles, capables de raison et de folie, sujets à tous les accidents, à la maladie et à la mort, ces hommes ont senti leur faiblesse et leur dépendance; ils ont reconnu aisément qu’il est quelque chose de plus puissant qu’eux; ils ont senti une force dans la terre, qui fournit leurs aliments; une dans l’air, qui souvent les détruit; une dans le feu, qui consume; et dans l’eau, qui submerge. Quoi de plus naturel dans des hommes ignorants que d’imaginer des êtres qui présidaient à ces éléments? quoi de plus naturel que de révérer la force invisible qui faisait luire aux yeux le soleil et les étoiles? et dès qu’on voulut se former une idée de ces puissances supérieures à l’homme, quoi de plus naturel encore que de les figurer d’une manière sensible? Pouvait-on s’y prendre autrement? La religion juive, qui précéda la nôtre, et qui fut donnée par Dieu même, était toute remplie de ces images sous lesquelles Dieu est représenté. Il daigne parler dans un buisson le langage humain; il paraît sur une montagne: les esprits célestes qu’il envoie viennent tous avec une forme humaine; enfin le sanctuaire est couvert de chérubins, qui sont des corps d’hommes avec des ailes et des têtes d’animaux. C’est ce qui a donné lieu à l’erreur de Plutarque, de Tacite d’Appien et de tant d’autres, de reprocher aux Juifs d’adorer une tête d’âne. Dieu, malgré sa défense de peindre et de sculpter aucune figure, a donc daigné se proportionner à la faiblesse humaine qui demandait qu’on parlât aux sens par des images.
Isaïe, dans le chapitre vi, voit le Seigneur assis sur un trône et le bas de sa robe qui remplit le temple. Le Seigneur étend sa main, et touche la bouche de Jérémie, au chapitre i de ce prophète. Ézéchiel au chapitre i voit un trône de saphir, et Dieu lui paraît comme un homme assis sur ce trône. Ces images n’altèrent point la pureté de la religion juive, qui jamais n’employa les tableaux, les statues, les idoles pour représenter Dieu aux yeux du peuple.
Les lettrés Chinois, les Parsis, les anciens Égyptiens, n’eurent point d’idoles; mais bientôt Isis et Osiris furent figurés; bientôt Bel à Babylone, fut un gros colosse; Brama fut un monstre bizarre dans la presqu’île de l’Inde. Les Grecs surtout multiplièrent les noms des dieux, les statues et les temples, mais en attribuant toujours la suprême puissance à leur Zeus, nommé par les Latins Jupiter, maître des dieux et des hommes. Les Romains imitèrent les Grecs. Ces peuples placèrent toujours tous les dieux dans le ciel, sans savoir ce qu’ils entendaient par le ciel.
Les Romains eurent leurs douze grands dieux, six mâles et six femelles, qu’ils nommèrent Dii majorum gentium: Jupiter, Neptune, Apollon, Vulcain, Mars, Mercure, Junon, Vesta, Minerve, Cérès, Vénus, Diane. Pluton fut oublié; Vesta prit sa place.
Ensuite venaient les dieux minorum gentium, les dieux indigètes, les héros, comme Bacchus, Hercule, Esculape; les dieux infernaux Pluton, Proserpine; ceux de la mer, comme Thétis, Amphitrite, les Néréides, Glaucus: puis les Dryades, les Naïades, les dieux des jardins, ceux des bergers: il y en avait pour chaque profession, pour chaque action de la vie, pour les enfants, pour les filles nubiles, pour les mariées, pour les accouchées; on eut le dieu Pet. On divinisa enfin les empereurs. Ni ces empereurs, ni le dieu Pet, ni la déesse Pertunda, ni Rumilia, la déesse des têtons, ni Stercutius, le dieu de la garde-robe, ne furent à la vérité regardés comme les maîtres du ciel et de la terre. Les empereurs eurent quelquefois des temples, les petit dieux pénates n’en eurent point; mais tous eurent leur figure, leur idole.
C’étaient de petits magots dont on ornait son cabinet; c’étaient les amusements des vieilles femmes et des enfants, qui n’étaient autorisés par aucun culte public. On laissait agir à son gré la superstition de chaque particulier. On retrouve encore ces petites idoles dans les ruines des anciennes villes.
Si personne ne sait quand les hommes commencèrent à se faire des idoles, on sait qu’elles sont de l’antiquité la plus haute. Tharé, père d’Abraham, en faisait à Ur en Chaldée. Rachel déroba et emporta les idoles de son beau-père Laban. On ne peut remonter plus haut.
Mais quelle notion précise avaient les anciennes nations de tous ces simulacres? Quelle vertu, quelle puissance leur attribuait-on? Croyait-on que les dieux descendaient du ciel pour venir se cacher dans ces statues, ou qu’ils leur communiquaient une partie de l’esprit divin, ou qu’ils ne leur communiquaient rien du tout? C’est encore sur quoi on a très inutilement écrit; il est clair que chaque homme en jugeait selon le degré de sa raison, ou de sa crédulité, ou de son fanatisme. Il est évident que les prêtres attachaient le plus de divinité qu’ils pouvaient à leurs statues, pour s’attirer plus d’offrandes. On sait que les philosophes réprouvaient ces superstitions, que les guerriers s’en moquaient, que les magistrats les toléraient, et que le peuple toujours absurde, ne savait ce qu’il faisait. C’est, en peu de mots, l’histoire de toutes les nations à qui Dieu ne s’est pas fait connaître.
On peut se faire la même idée du culte que toute l’Égypte rendit à un boeuf, et que plusieurs villes rendirent à un chien, à un singe, à un chat, à des oignons. Il y a grande apparence que ce furent d’abord des emblèmes. Ensuite un certain boeuf Apis, un certain chien nommé Anubis, furent adorés; on mangea toujours du boeuf et des oignons: mais il est difficile de savoir ce que pensaient les vieilles femmes d’Égypte des oignons sacrés et des boeufs.
Les idoles parlaient assez souvent. On faisait commémoration à Rome, le jour de la fête de Cybèle, des belles paroles que la statue avait prononcées lorsqu’on en fit la translation du palais du roi Attale:

Ipsa pati volui; ne sit mora, mitte volentem:
Dignus Roma locus quo deus omnis eat.



“J’ai voulu qu’on m’enlevât, emmenez-moi vite: Rome est digne que tout dieu s’y établisse.” La statue de la Fortune avait parlé: les Scipion, les Cicéron, les César, à la vérité, n’en croyaient rien; mais la vieille à qui Encolpe donna un écu pour acheter des oies et des dieux(57) pouvait fort bien le croire.
Les idoles rendaient aussi des oracles, et les prêtres, cachés dans le creux des statues, parlaient au nom de la divinité.
Comment, au milieu de tant de dieux et de tant de théogonies différentes, et de cultes particuliers, n’y eut-il jamais de guerre de religion chez les peuples nommés idolâtres? Cette paix fut un bien qui naquit d’un mal, de l’erreur même; car chaque nation, reconnaissant plusieurs dieux inférieurs, trouva bon que ses voisins eussent aussi les leurs. Si vous exceptez Cambyse, à qui on reprocha d’avoir tué le boeuf Apis, on ne voit dans l’histoire profane aucun conquérant qui ait maltraité les dieux d’un peuple vaincu. Les gentils n’avaient aucune religion exclusive, et les prêtres ne songèrent qu’à multiplier les offrandes et les sacrifices.
Les premières offrandes furent des fruits. Bientôt après il fallut des animaux pour la table des prêtres; il les égorgeaient eux-mêmes; ils devinrent bouchers et cruels: enfin ils introduisirent l’usage horrible de sacrifier des victimes humaines, et surtout des enfants et des jeunes filles. Jamais les Chinois, ni les Parsis, ni les Indiens, ne furent coupables de ces abominations; mais à Hiéropolis en Égypte, au rapport de Porphyre, on immola des hommes.
Dans la Tauride on sacrifiait des étrangers; heureusement les prêtres de la Tauride ne devaient pas avoir beaucoup de pratiques. Les premiers Grecs, les Cypriots, les Phéniciens, les Tyriens, les Carthaginois, eurent cette superstition abominable. Les Romains eux-mêmes tombèrent dans ce crime de religion; et Plutarque rapporte qu’ils immolèrent deux Grecs et deux Gaulois pour expier les galanteries de trois vestales. Procope, contemporain du roi des Francs Théodebert, dit que les Francs immolèrent des hommes quand ils entrèrent en Italie avec ce prince. Les Gaulois, les Germains, faisaient communément de ces affreux sacrifices. On ne peut guère lire l’histoire sans concevoir de l’horreur pour le genre humain.
Il est vrai que, chez les Juifs, Jephté sacrifia sa fille, et que Saül fut prêt d’immoler son fils; il est vrai que ceux qui étaient voués au Seigneur par anathème ne pouvaient être rachetés ainsi qu’on rachetait les bêtes, et qu’il fallait qu’ils périssent. Samuel prêtre Juif hacha en morceaux avec un saint couperet le roi Agag prisonnier de guerre et qui Saul avait pardonner, et Saul fut réprouvé pour avoir observe le droit des gens avec ce roi. Mais Dieu maître des homes, peut leur ôter la vie quand il veut, comme il le veut, et par qui il veut; et ce n’est pas aux homes à se metre à la place du maître de la vie et de la mort, et à usurper les droits de l’Être suprême.
Pour consoler le genre humain de cet horrible tableau, de ces pieux sacrilèges, il est important de savoir que, chez presque toutes les nations nommées idolâtres, il y avait la théologie sacrée et l’erreur populaire, le culte secret et les cérémonies publiques, la religion des sages et celle du vulgaire. On n’enseignait qu’un seul Dieu aux initiés dans les mystères: il n’y a qu’à jeter les yeux sur l’hymne attribué à l’ancien Orphée, qu’on chantait dans les mystères de Cérès Éleusine, si célèbre en Europe et en Asie. “Contemple la nature divine, illumine ton esprit, gouverne ton coeur, marche dans la voie de la justice, que le Dieu du ciel et de la terre soit toujours présent à tes yeux; il est unique, il existe seul par lui-même, tous les êtres tiennent de lui leur existence; il les soutient tous: il n’a jamais été vu des mortels, et il voit toutes choses.”
Qu’on lise encore ce passage du philosophe Maxime de Madaure, dans sa lettre à St. Augustin: “Quel homme est assez grossier, assez stupide pour douter qu’il soit un Dieu suprême, éternel, infini, qui n’a rien engendré de semblable à lui-même, et qui est le père commun de toutes choses?”
Il y a mille témoignages que les sages abhorraient non seulement l’idolâtrie, mais encore le polythéisme.
Épictète, ce modèle de résignation et de patience, cet homme si grand dans une condition si basse, ne parle jamais que d’un seul Dieu. Relisez encore cette maxime: „Dieu m’a créé, Dieu est au dedans de moi; je le porte partout. Pourrais-je le souiller par des pensées obscènes, par des actions injustes, par d’infâmes désirs? Mon devoir est de remercier Dieu de tout, de le louer de tout, et de ne cesser de le bénir qu’en cessant de vivre.“ Toutes les idées d’Épictète roulent sur ce principe.
Marc-Aurèle, aussi grand peut-être sur le trône de l’empire romain qu’Épictète dans l’esclavage, parle souvent, à la vérité, des dieux, soit pour se conformer au langage reçu, soit pour exprimer des êtres mitoyens entre l’Être suprême et les hommes: mais en combien d’endroits ne fait-il pas voir qu’il ne reconnaît qu’un Dieu éternel, infini! “Notre âme, dit-il, est une émanation de la Divinité. Mes enfants, mon corps, mes esprits, me viennent de Dieu.”
Les stoïciens, les platoniciens, admettaient une nature divine et universelle; les épicuriens la niaient. Les pontifes ne parlaient que d’un seul Dieu dans les mystères. Où étaient donc les idolâtres? Tous nos déclamateurs crient à l’idolâtrie comme de petits chiens qui jappent quand ils entendent un gros chien aboyer.
Au reste, c’est une des plus grandes erreurs du Dictionnaire de Moréri, de dire que du temps de Théodose le Jeune il ne resta plus d’idolâtres que dans les pays reculés de l’Asie et de l’Afrique. Il y avait dans l’Italie beaucoup de peuples encore gentils, même au septième siècle. Le nord de l’Allemagne, depuis le Vézer, n’était pas chrétien du temps de Charlemagne. La Pologne et tout le Septentrion restèrent longtemps après lui dans ce qu’on appelle idolâtrie. La moitié de l’Afrique, tous les royaumes au delà du Gange, le Japon, la populace de la Chine, cent hordes de Tartares, ont conservé leur ancien culte. Il n’y a plus en Europe que quelques Lapons, quelques Samoyèdes, quelques Tartares, qui aient persévéré dans la religion de leurs ancêtres.
Finissons par remarquer que, dans les temps qu’on appelle parmi nous le moyen-âge, nous appelions le pays des mahométans la Paganie; nous traitions d’idolâtres, d’adorateurs d’images, un peuple qui a les images en horreur. Avouons, encore une fois, que les Turcs sont plus excusables de nous croire idolâtres, quand ils voient nos autels chargés d’images et de statues.