Wir geben hier den Artikel Critique – Kritik aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764  in französischer Sprache wieder.
 Je ne prétends point parler ici de cette critique de scoliaste, qui restitue mal un mot d’un ancien auteur qu’auparavant on entendait très bien. Je ne touche point à ces vrais critiques qui ont débrouillé ce qu’on peut de l’histoire et de la philosophie anciennes. J’ai en vue les critiques qui tiennent à la satire. 
 
Un amateur des lettres lisait un jour le Tasse avec moi; il tomba sur cette stance: 
 
Chiama gli abitator dell’ ombre eterne 
Il rauco suon della tartarea tromba. 
Treman le spaziose atre caverne; 
E l’aer cieco a quel rumor rimbomba: 
Nè si stridendo mai dalle superne 
Regioni del cielo il folgor piomba; 
Nè sì scossa giammai trema ]a terra 
Quando i vapori in sen gravida serra. 
 
Il lut ensuite au hasard plusieurs stances de cette force et de cette harmonie. Ah! c’est donc là, s’écria-t-il, ce que votre Boileau appelle du clinquant? c’est donc ainsi qu’il veut rabaisser un grand homme qui vivait cent ans avant lui, pour mieux élever un autre grand homme qui vivait seize cents ans auparavant, et qui eût lui-même rendu justice au Tasse? — Consolez-vous, lui dis-je, prenons les opéras de Quinault. 
 
Nous trouvâmes à l’ouverture du livre de quoi nous mettre en colère contre la critique; l’admirable poème d’Armide se présenta, nous trouvâmes ces mots 
 
SIDONIE. 
La haine est affreuse et barbare, 
L’amour contraint les coeurs dont il s’empare 
A souffrir des maux rigoureux. 
Si votre sort est en votre puissance, 
Faites choix de l’indifférence; 
Elle assure un repos heureux. 
 
ARMIDE. 
Non, non, il ne m’est pas possible 
De passer de mon trouble en un état paisible; 
Mon coeur ne se peut plus calmer; 
Renaud m’offense trop, il n’est que trop aimable, 
C’est pour moi désormais un choix indispensable 
De le haïr ou de l’aimer. 
 
Nous lûmes toute la pièce d’Armide, dans laquelle le génie du Tasse reçoit encore de nouveaux charmes par les mains de Quinault. Eh bien! dis-je à mon ami, c’est pourtant ce Quinault que Boileau s’efforça toujours de faire regarder comme l’écrivain le plus méprisable; il persuada même à Louis XIV que cet écrivain gracieux, touchant, pathétique, élégant, n’avait d’autre mérite que celui qu’il empruntait du musicien Lulli. — Je conçois cela très aisément, me répondit mon ami; Boileau n’était pas jaloux du musicien, il l’était du poète. — Quel fond devons-nous faire sur le jugement d’un homme qui, pour rimer à un vers qui finissait en aut, dénigrait tantôt Boursault, tantôt Hénault, tantôt Quinault, selon qu’il était bien ou mal avec ces messieurs-là? 
 
 Mais pour ne pas laisser refroidir votre zèle contre l’injustice, mettez seulement la tête à la fenêtre, regardez cette belle façade du Louvre, par laquelle Perrault s’est immortalisé: cet habile homme était frère d’un académicien très savant, avec qui Boileau avait eu quelque dispute; en voilà assez pour être traité d’architecte ignorant. 
 
Mon ami, après avoir un peu rêvé, reprit en soupirant: La nature humaine est ainsi faite. Le Duc de Sully, dans ses Mémoires, trouve le Cardinal d’Ossat, et le secrétaire d’État Villeroi, de mauvais ministres; Louvois faisait ce qu’il pouvait pour ne pas estimer le grand Colbert.  Ils n’imprimaient rien l’un contre l’autre de leur vivant, répondis-je, c’est une sottise qui n’est guères attachée qu’à la littérature, à la chicane, et à la théologie.
 
 Nous avons eu un homme de mérite, c’est La Motte qui a fait de très belles stances. 
 
Quelquefois au feu qui la charme 
Résiste une jeune beauté, 
Et contre elle-même elle s’arme 
D’une pénible fermeté. 
Hélas! cette contrainte extrême 
La prive du vice qu’elle aime, 
Pour fuir la honte qu’elle hait. 
Sa sévérité n’est que faste, 
Et l’honneur de passer pour chaste 
La résout à l’être en effet. 
En vain ce sévère stoïque, 
Sous mille défauts abattu, 
Se vante d’une âme héroïque 
Toute vouée à la vertu: 
Ce n’est point la vertu qu’il aime; 
Mais son coeur, ivre de lui-même, 
Voudrait usurper les autels; 
Et par sa sagesse frivole 
Il ne veut que parer l’idole 
Qu’il offre au culte des mortels. 
(L’Amour-propre, ode à l’évêque 
de Soissons, str. 5 et 9). 
Les champs de Pharsale et d’Arbelle 
Ont vu triompher deux vainqueurs, 
L’un et l’autre digne modèle 
Que se proposent les grands coeurs. 
Mais le succès a fait leur gloire; 
Et si le sceau de la victoire 
N’eût consacré ces demi-dieux, 
Alexandre, aux yeux du vulgaire, 
N’aurait été qu’un téméraire, 
Et César qu’un séditieux. 
 
 Cet auteur, dis-je, était un sage qui prêta plus d’une fois le charme des vers à la philosophie. S’il avait toujours écrit de pareilles stances, il serait le premier des poètes lyriques; cependant c’est alors qu’il donnait ces beaux morceaux que l’un de ses contemporains l’appelait: 
 
Certain oison, gibier de basse-cour, 
 
 Il dit de La Motte, en un autre endroit: 
 
De ses discours l’ennuyeuse beauté. 
 
 Il dit dans un autre: 
 
. . . . . . . . . . . . Je n’y vois qu’un défaut: 
C’est que l’auteur les devait faire en prose. 
Ces odes-là sentent bien le Quinault. 
 
 Il le poursuit partout; il lui reproche partout la sécheresse et le défaut d’harmonie. 
 
 Seriez-vous curieux de voir les Odes que fit quelques années après ce même censeur qui jugeait Lamotte en maître, et qui le décriait en ennemi? Lisez. 
 
Cette influence souveraine 
N’est pour lui qu’une illustre chaîne 
Qui l’attache au bonheur d’autrui; 
Tous les brillants qui l’embellissent, 
Tous les talents qui l’ennoblissent 
Sont en lui, mais non pas à lui. 
Il n’est rien que le temps n’absorbe et ne dévore 
Et les faits qu’on ignore 
Sont bien peu différents des faits non avenus. 
La bonté qui brille en elle 
De ses charmes les plus doux, 
Est une image de celle 
Qu’elle voit briller en vous. 
Et par vous seule enrichie, 
Sa politesse affranchie 
Des moindres obscurités 
Est la lueur réfléchie 
De vos sublimes clartés. 
Ils ont vu par ta bonne foi 
De leurs peuples troublés d’effroi 
La crainte heureusement déçue, 
Et déracinée à jamais 
La haine si souvent reçue 
En survivance de la paix. 
Dévoile à nia vue empressée 
Ces déités d’adoption, 
Synonymes de la pensée, 
Symboles de l’abstraction. 
N’est-ce pas une fortune 
Quand d’une charge commune 
Deux moitiés portent le faix, 
Que la moindre le réclame, 
Et que du bonheur de l’âme 
Le corps seul fasse les frais? 
 
 Il ne fallait pas, dit alors mon judicieux amateur de lettres, il ne fallait pas sans doute, donner de si détestables ouvrages pour modèles à celui qu’on critiquait avec tant d’amertume; il eût mieux valu laisser jouir en paix son adversaire de son mérite, et conserver celui qu’on avait. Mais, que voulez-vous? le genus irritabile vatum est malade de la même bile qui le tourmentait autrefois. Le public pardonne ces pauvretés aux gens à talent, parce que le public ne songe qu’à s’amuser; il voit dans une allégorie intitulée Pluton, des juges condamnés à être écorchés et à s’asseoir aux enfers sur un siège couvert de leur peau, au lieu de fleurs de lis; le lecteur ne s’embarrasse pas si ces juges le méritent ou non; si le complaignant qui les cite devant Pluton a tort ou raison. Il lit ces vers uniquement pour son plaisir: s’ils lui en donnent, il n’en veut pas davantage; s’ils lui déplaisent, il laisse là l’allégorie, et ne ferait pas un seul pas pour faire confirmer ou casser la sentence. 
 
 Les inimitables tragédies de Racine ont toutes été critiquées, et très mal; c’est qu’elles l’étaient par des rivaux. Les artistes sont les juges compétents de l’art, il est vrai; mais ces juges compétents sont presque toujours corrompus. 
 
 Un excellent critique serait un artiste qui aurait beaucoup de science et de goût, sans préjugés et sans envie. Cela est difficile à trouver



