Corps – Körper (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Corps – Körper aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


De même que nous ne savons ce que c’est qu’un esprit, nous ignorons ce que c’est qu’un corps: nous voyons quelques propriétés; mais quel est ce sujet en qui ces propriétés résident? Il n’y a que des corps, disaient Démocrite et Épicure; il n’y a point de corps, disaient les disciples de Zénon d’Élée.
L’évêque de Cloyne, Berkeley, est le dernier qui, par cent sophismes captieux, a prétendu prouver que les corps n’existent pas. Ils n’ont, dit-il, ni couleurs, ni odeurs, ni chaleur; ces modalités sont dans vos sensations, et non dans les objets. Il pouvait s’épargner la peine de prouver cette vérité; elle était assez connue. Mais de là il passe à l’étendue, à la solidité, qui sont des essences du corps, et il croit prouver qu’il n’y a pas d’étendue dans une pièce de drap vert, parce que ce drap n’est pas vert en effet; cette sensation du vert n’est qu’en vous: donc cette sensation de l’étendue n’est aussi qu’en vous. Et après avoir ainsi détruit l’étendue, il conclut que la solidité qui y est attachée tombe d’elle-même, et qu’ainsi il n’y a rien au monde que nos idées. De sorte que, selon ce docteur, dix mille hommes tués par dix mille coups de canon ne sont dans le fond que dix mille appréhensions de notre entendement; et quand un homme fait un enfant à sa femme, ce n’est qu’une idée qui se loge dans une autre idée, dont il naîtra une troisième idée.
Il ne tenait qu’à M. l’évêque de Cloyne de ne point tomber dans l’excès de ce ridicule. Il croit montrer qu’il n’y a point d’étendue, parce qu’un corps lui a paru avec sa lunette quatre fois plus gros qu’il ne l’était à ses yeux, et quatre fois plus petit à l’aide d’un autre verre. De là il conclut qu’un corps ne pouvant avoir à la fois quatre pieds, seize pieds, et un seul pied d’étendue, cette étendue n’existe pas: donc il n’y a rien. Il n’avait qu’à prendre une mesure, et dire: De quelque étendue qu’un corps me paraisse, il est étendu de tant de ces mesures.
Il lui était bien aisé de voir qu’il n’en est pas de l’étendue et de la solidité comme des sons, des couleurs, des saveurs, des odeurs, etc. Il est clair que ce sont en nous des sentiments excités par la configuration des parties: mais l’étendue n’est point un sentiment. Que ce bois allumé s’éteigne, je n’ai plus chaud que cet air ne soit plus frappé, je n’entends plus; que cette rose se fane, je n’ai plus d’odorat pour elle; mais ce bois, cet air, cette rose, sont étendus sans moi. Le paradoxe de Berkeley ne vaut pas la peine d’être réfuté.
Il est bon de savoir ce qui avait entraîné l’évêque Berkeley dans ce paradoxe. J’eus, il y a longtemps, quelques conversations avec lui; il me dit que l’origine de son opinion venait de ce qu’on ne peut concevoir ce que c’est que ce sujet qui reçoit l’étendue. Et en effet, il triomphe dans son livre quand il demande à Hilas ce que c’est que ce sujet, ce substratum, cette substance. C’est le corps étendu, répond Hilas. Alors l’évêque, sous le nom de Philonoüs, se moque de lui; et le pauvre Hilas voyant qu’il a dit que l’étendue est le sujet de l’étendue, et qu’il a dit une sottise, demeure tout confus, et avoue qu’il n’y comprend rien; qu’il n’y a point de corps, que le monde matériel n’existe pas, qu’il n’y a qu’un monde intellectuel.
Philonoüs devait dire seulement à Hilas: Nous ne savons rien sur le fond de ce sujet, de cette substance étendue, solide, divisible, mobile, figurée, etc.; je ne la connais pas plus que le sujet pensant, sentant et voulant mais ce sujet n’en existe pas moins, puisqu’il a des propriétés essentielles dont il ne peut être dépouillé.
Nous sommes tous comme la plupart des dames de Paris: elles font grande chère sans savoir ce qui entre dans les ragoûts de même nous jouissons des corps sans savoir ce qui les compose. De quoi est fait le corps? de parties, et ces parties se résolvent en d’autres parties. Que sont ces dernières parties? toujours des corps; vous divisez sans cesse, et vous n’avancez jamais.
Enfin un subtil philosophe(7), remarquant qu’un tableau est fait d’ingrédients dont aucun n’est un tableau, et une maison de matériaux dont aucun n’est une maison, imagina que les corps sont bâtis d’une infinité de petits êtres qui ne sont pas corps et cela s’appelle des monades. Ce système ne laisse pas d’avoir son bon, et s’il était révélé, je le croirais très possible; tous ces petits êtres seraient des points mathématiques, des espèces d’âmes qui n’attendraient qu’un habit pour se mettre dedans: ce serait une métempsycose continuelle. Ce système en vaut bien un autre; je l’aime bien autant que la déclinaison des atomes, les formes substantielles, la grâce versatile, et les vampires de Dom Calmet

Le ciel des anciens – Der Himmel in der Antike (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Le Ciel des anciens – Der Himmel der Antike aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Si un ver à soie donnait le nom de ciel au petit duvet qui entoure sa coque, il raisonnerait aussi bien que firent tous les anciens, en donnant le nom de ciel à l’atmosphère, qui est, comme dit très bien M. de Fontenelle dans ses Mondes, le duvet de notre coque.

Les vapeurs qui sortent de nos mers et de notre terre, et qui forment les nuages, les météores et les tonnerres, furent pris d’abord pour la demeure des dieux. Les dieux descendent toujours dans des nuages d’or chez Homère; c’est de là que les peintres les peignent encore aujourd’hui assis sur une nuée. Comment est-on assis sur l’eau? Il était bien juste que le maître des dieux fût plus à son aise que les autres: on lui donna un aigle pour le porter, parce que l’aigle vole plus haut que les autres oiseaux.

Les anciens Grecs, voyant que les maîtres des villes demeuraient dans des citadelles, au haut de quelque montagne, jugèrent que les dieux pouvaient avoir une citadelle aussi, et la placèrent en Thessalie sur le mont Olympe, dont le sommet est quelquefois caché dans les nues; de sorte que leur palais était de plain-pied à leur ciel.

Les étoiles et les planètes, qui semblent attachées à la voûte bleue de notre atmosphère, devinrent ensuite les demeures des dieux; sept d’entre eux eurent chacun leur planète, les autres logèrent où ils purent: le conseil général des dieux se tenait dans une grande salle à laquelle on allait par la voie lactée; car il fallait bien que les dieux eussent une salle en l’air, puisque les hommes avaient des hôtels de ville sur la terre.

Quand les Titans, espèce d’animaux entre les dieux et les hommes, déclarèrent une guerre assez juste à ces dieux-là pour réclamer une partie de leur héritage du côté paternel, étant fils du Ciel et de la Terre, ils ne mirent que deux ou trois montagnes les unes sur les autres, comptant que c’en était bien assez pour se rendre maîtres du ciel et du château de l’Olympe.

Neve foret terris securior arduus aether,
Affectasse ferunt regnum coeleste gigantes,
Altaque congestos struxisse ad sidera montes.

Cette physique d’enfants et de vieilles était prodigieusement ancienne: cependant on croit que les Chaldéens avaient des idées presque aussi saines que nous de ce qu’on appelle le ciel; ils plaçaient le soleil au centre de notre monde planétaire, à peu près à la distance de notre globe que nous avons reconnue: ils faisaient tourner la terre et quelques planètes autour de cet astre: c’est ce que nous apprend Aristarque de Samos: c’est à peu près le système du monde que Copernic a perfectionné depuis; mais les philosophes gardaient le secret pour eux, afin d’être plus respectés des rois et du peuple, ou plutôt pour n’être pas persécutés.
Le langage de l’erreur est si familier aux hommes que nous appelons encore nos vapeurs, et l’espace de la terre à la lune, du nom de ciel: nous disons monter au ciel, comme nous disons que le soleil tourne, quoiqu’on sache bien qu’il ne tourne pas. Nous sommes probablement le ciel pour les habitants de la lune, et chaque planète place son ciel dans la planète voisine.

Si on avait demandé à Homère dans quel ciel était allée l’âme de Sarpédon, et où était celle d’Hercule, Homère eût été bien embarrassé: il eût répondu par des vers harmonieux.

Quelle sûreté avait-on que l’âme aérienne d’Hercule se fût trouvée plus à son aise dans Vénus, dans Saturne, que sur notre globe? Aurait-elle été dans le soleil? la place ne paraît pas tenable dans cette fournaise. Enfin, qu’entendaient les anciens par le ciel? ils n’en savaient rien; ils criaient toujours le ciel et la terre; c’est comme si l’on criait l’infini et un atome. Il n’y a point, à proprement parler, de ciel; il y a une quantité prodigieuse de globes qui roulent dans l’espace vide, et notre globe roule comme les autres.

Les anciens croyaient qu’aller dans les cieux c’était monter: mais on ne monte point d’un globe à un autre; les globes célestes sont tantôt au-dessus de notre horizon, tantôt au-dessous. Ainsi, supposons que Vénus, étant venue à Paphos, retournât dans sa planète quand cette planète était couchée, la déesse Vénus ne montait point alors par rapport à notre horizon: elle descendait, et on devait dire en ce cas descendre au ciel. Mais les anciens n’y entendaient pas tant de finesse; ils avaient des notions vagues, incertaines, contradictoires, sur tout ce qui tenait à la physique. On a fait des volumes immenses pour savoir ce qu’ils pensaient sur bien des questions de cette sorte. Quatre mots auraient suffi: Ils ne pensaient pas.
Il faut toujours en excepter un petit nombre de sages, mais ils sont venus tard; peu ont expliqué leurs pensées, et quand ils l’ont fait, les charlatans de la terre les ont envoyés au ciel par le plus court chemin.

Un écrivain, qu’on nomme, je crois, Pluche, a prétendu faire de Moïse un grand physicien; un autre avait auparavant concilié Moïse avec Descartes, et avait imprimé le Cartesius mosaïzans(18); selon lui, Moïse avait inventé le premier les tourbillons et la matière subtile mais on sait assez que Dieu, qui lit de Moïse un grand législateur, un grand prophète, ne voulut point du tout en faire un professeur de physique; il instruisit les Juifs de leur devoir, et ne leur enseigna pas un mot de philosophie. Calmet, qui a beaucoup compilé, et qui n’a raisonné jamais, parle du système des Hébreux; mais ce peuple grossier était bien loin d’avoir un système; il n’avait pas même d’école de géométrie; le nom leur en était inconnu; leur seule science était le métier de courtier et l’usure.

On trouve dans leurs livres quelques idées louches, incohérentes, et dignes en tout d’un peuple barbare, sur la structure du ciel. Leur premier ciel était l’air; le second, le firmament, où étaient attachées les étoiles: ce firmament était solide et de glace, et portait les eaux supérieures, qui s’échappèrent de ce réservoir par des portes, des écluses, des cataractes, au temps du déluge.

Au dessus de ce firmament, ou de ces eaux supérieures, était le troisième ciel, ou l’empyrée, où saint Paul fut ravi. Le firmament était une espèce de demi-voûte qui embrassait la terre. Le soleil ne faisait point le tour d’un globe qu’ils ne connaissaient pas. Quand il était parvenu à l’occident, il revenait à l’orient par un chemin inconnu; et si on ne le voyait pas, c’était, comme le dit le baron de Foeneste, parce qu’il revenait de nuit.

Encore les Hébreux avaient-ils pris ces rêveries des autres peuples. La plupart des nations, excepté l’école des Chaldéens, regardaient le ciel comme solide; la terre fixe et immobile était plus longue d’orient en occident, que du midi au nord, d’un grand tiers: de là viennent ces expressions de longitude et de latitude que nous avons adoptées. On voit que dans cette opinion il était impossible qu’il y eût des antipodes. Aussi saint Augustin traite l’idée des antipodes d’absurdité; et Lactance, que nous avons déjà cité, dit expressément: « Y a-t-il des gens assez fous pour croire qu’il y ait des hommes dont la tête soit plus basse que les pieds? etc. »

St. Chrysostome s’écrie dans sa quatorzième homélie: « Où sont ceux qui prétendent que les cieux sont mobiles, et que leur forme est circulaire? »

Lactance dit encore au livre III de ses Institutions: « Je pourrais vous prouver par beaucoup d’arguments qu’il est impossible que le ciel entoure la terre. »

L’auteur du Spectacle de la nature pourra dire à M. le chevalier, tant qu’il voudra, que Lactance et saint Chrysostome étaient de grands philosophes; on lui répondra qu’ils étaient de grands saints, et qu’il n’est point du tout nécessaire, pour être un saint, d’être un bon astronome. On croira qu’ils sont au ciel, mais on avouera qu’on ne sait pas dans quelle partie du ciel précisément.

De la Chine – Über China (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel De la Chine – Über China aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Nous allons chercher à la Chine de la terre, comme si nous n’en avions point; des étoffes, comme si nous manquions d’étoffes; une petite herbe pour infuser dans de l’eau, comme si nous n’avions point de simples dans nos climats. En récompense, nous voulons convertir les Chinois: c’est un zèle très louable mais il ne faut pas leur contester leur antiquité, et leur dire qu’ils sont des idolâtres. Trouverait-on bon, en vérité, qu’un capucin, ayant été bien reçu dans un château des Montmorency, voulût leur persuader qu’ils sont nouveaux nobles, comme les secrétaires du roi, et les accuser d’être idolâtres, parce qu’il aurait trouvé dans ce château deux ou trois statues de connétables, pour lesquelles on aurait un profond respect?
Le célèbre Wolf, professeur de mathématiques dans l’université de Hall, prononça un jour un très bon discours à la louange de la philosophie chinoise; il loua cette ancienne espèce d’hommes, qui diffère de nous par la barbe, par les yeux, par le nez, par les oreilles, et par le raisonnement; il loua, dis-je, les Chinois d’adorer un Dieu suprême, et d’aimer la vertu; il rendait cette justice aux empereurs de la Chine, aux colaos, aux tribunaux, aux lettrés. La justice qu’on rend aux bonzes est d’une espèce différente.
Il faut savoir que ce Wolf attirait à Hall un millier d’écoliers de toutes les nations. Il y avait dans la même université un professeur de théologie nommé Lange, qui n’attirait personne; cet homme, au désespoir de geler de froid seul dans son auditoire, voulut, comme de raison, perdre le professeur de mathématiques; il ne manqua pas, selon la coutume de ses semblables, de l’accuser de ne pas croire en Dieu.
Quelques écrivains d’Europe, qui n’avaient jamais été à la Chine, avaient prétendu que le gouvernement de Pékin était athée. Wolf avait loué les philosophes de Pékin, donc Wolf était athée; l’envie et la haine ne font jamais de meilleurs syllogismes. Cet argument de Lange, soutenu d’une cabale et d’un protecteur, fut trouvé concluant par le roi du pays, qui envoya un dilemme en forme au mathématicien ce dilemme lui donnait le choix de sortir de Hall dans vingt-quatre heures, ou d’être pendu. Et comme Wolf raisonnait fort juste, il ne manqua pas de partir; Sa retraite ôta au roi deux ou trois cent mille écus par an, que ce philosophe faisait entrer dans le royaume par l’affluence de ses disciples.
Cet exemple doit faire sentir aux souverains qu’il ne faut pas toujours écouter la calomnie, et sacrifier un grand homme à la fureur d’un sot. Revenons à la Chine.
De quoi nous avisons-nous, nous autres au bout de l’Occident, de disputer avec acharnement et avec des torrents d’injures, pour savoir s’il y avait eu quatorze princes, ou non, avant Fo-hi, empereur de la Chine, et si ce Fo-hi vivait trois mille, ou deux mille neuf cents ans avant notre ère vulgaire? Je voudrais bien que deux Irlandais s’avisassent de se quereller à Dublin pour savoir quel fut, au xiie siècle, le possesseur des terres que j’occupe aujourd’hui; n’est-il pas évident qu’ils devraient s’en rapporter à moi, qui ai les archives entre mes mains? Il en est de même à mon gré des premiers empereurs de la Chine; il faut s’en rapporter aux tribunaux du pays.
Disputez tant qu’il vous plaira sur les quatorze princes qui régnèrent avant Fo-hi, votre belle dispute n’aboutira qu’à prouver que la Chine était très peuplée alors, et que les lois y régnaient. Maintenant, je vous demande si une nation assemblée, qui a des lois et des princes, ne suppose pas une prodigieuse antiquité? Songez combien de temps il faut pour qu’un concours singulier de circonstances fasse trouver le fer dans les mines, pour qu’on l’emploie à l’agriculture, pour qu’on invente la navette et tous les autres arts.
Ceux qui font les enfants à coups de plume ont imaginé un fort plaisant calcul. Le jésuite Pétau, par une belle supputation, donne à la terre, deux cent quatre-vingt-cinq ans après le déluge, cent fois plus d’habitants qu’on n’ose lui en supposer à présent. Les Cumberland et les Whiston ont fait des calculs aussi comiques; ces bonnes gens n’avaient qu’à consulter les registres de nos colonies en Amérique, ils auraient été bien étonnés, ils auraient appris combien peu le genre humain se multiplie, et qu’il diminue très souvent au lieu d’augmenter.
Laissons donc, nous qui sommes d’hier, nous descendants des Celtes, qui venons de défricher les forêts de nos contrées sauvages laissons les Chinois et les Indiens jouir en paix de leur beau climat et de leur antiquité. Cessons surtout d’appeler idolâtres l’empereur de la Chine et le soubab de Dékan. Il ne faut pas être fanatique du mérite chinois: la constitution de leur empire est à la vérité la meilleure qui soit au monde la seule qui soit toute fondée sur le pouvoir paternel; la seule dans laquelle un gouverneur de province soit puni quand, en sortant de charge, il n’a pas eu les acclamations du peuple; la seule qui ait institué des prix pour la vertu, tandis que partout ailleurs les lois se bornent à punir le crime; la seule qui ait fait adopter ses lois à ses vainqueurs, tandis que nous sommes encore sujets aux coutumes des Burgundiens, des Francs et des Goths, qui nous ont domptés. Mais on doit avouer que le petit peuple, gouverné par des bonzes, est aussi fripon que le nôtre; qu’on y vend tout fort cher aux étrangers, ainsi que chez nous; que dans les sciences, les Chinois sont encore au terme où nous étions il y a deux cents ans; qu’ils ont comme nous mille préjugés ridicules; qu’ils croient aux talismans, à l’astrologie judiciaire, comme nous y avons cru longtemps.
Avouons encore qu’ils ont été étonnés de notre thermomètre, de notre manière de mettre des liqueurs à la glace avec du salpêtre, et de toutes les expériences de Toricelli et d’Otto de Guericke, tout comme nous le fûmes lorsque nous vîmes ces amusements de physique pour la première fois; ajoutons que leurs médecins ne guérissent pas plus les maladies mortelles que les nôtres, et que la nature toute seule guérit à la Chine les petites maladies comme ici; mais tout cela n’empêche pas que les Chinois, il y a quatre mille ans, lorsque nous ne savions pas lire, ne sussent toutes les choses essentiellement utiles dont nous nous vantons aujourd’hui.

Convulsions – Zuckungen (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Covulsions – Zuckungen (Originaltext) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.



On dansa, vers l’an 1724, sur le cimetière de Saint-Médard il s’y fit beaucoup de miracles: en voici un, rapporté dans une chanson de Mme la duchesse du Maine:

Un décrotteur à la royale,
Du talon gauche estropié,
Obtint pour grâce spéciale
D’être boiteux de l’autre pied.

Les convulsions miraculeuses, comme on sait, continuèrent jusqu’à ce qu’on eût mis une garde au cimetière.

De par le roi, défense à Dieu
De faire miracle en ce lieu.

Les jésuites, comme on le sait encore, ne pouvant plus faire de tels miracles depuis que leur Xavier avait épuisé les grâces de la Compagnie à ressusciter neuf morts de compte fait, s’avisèrent, pour balancer le crédit des jansénistes, de faire graver une estampe de Jésus-Christ habillé en jésuite. Un plaisant du parti janséniste, comme on le sait encore, mit au bas de l’estampe:

Admirez l’artifice extrême
De ces moines ingénieux;
Ils vous ont habillé comme eux,
Mon Dieu, de peur qu’on ne vous aime.

Les jansénistes, pour mieux prouver que jamais Jésus-Christ n’avait pu prendre l’habit de jésuite, rempliront Paris de convulsions, et attirèrent le monde à leur préau. Le conseiller au parlement Carré de Montgeron alla présenter au roi un recueil in-4° de tous ces miracles, attestés par mille témoins. Il fut mis, comme de raison, dans un château, où l’on tâcha de rétablir son cerveau par le régime; mais la vérité l’emporte toujours sur les persécutions: les miracles se perpétuèrent trente ans de suite, sans discontinuer. On faisait venir chez soi soeur Rose, soeur illuminée, soeur Promise, soeur Confite: elles se faisaient fouetter, sans qu’il y parût le lendemain; on leur donnait des coups de bûche sur leur estomac bien cuirassé, bien rembourré, sans leur faire de mal; on les couchait devant un grand feu, le visage frotté de pommade, sans qu’elles brûlassent; enfin, comme tous les arts se perfectionnent, on a fini par leur enfoncer des épées dans les chairs, et par les crucifier. Un fameux maître d’école(4) même a eu aussi l’avantage d’être mis on croix: tout cela pour convaincre le monde qu’une certaine bulle était ridicule, ce qu’on aurait pu prouver sans tant de frais. Cependant, et jésuites et jansénistes se réuniront tous contre l’Esprit des lois, et contre… et contre… et contre… et contre… Et nous osons après cela nous moquer des Lapons, des Samoyèdes et des Nègres.

Chaînes des événements – Kette der Ereignisse (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Chaînes des événements – Die Kette der Ereignisse aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Il y a longtemps qu’on a prétendu que tous les événements sont enchaînés les uns aux autres par une fatalité invincible: c’est le destin qui, dans Homère, est supérieur à Jupiter même. Ce maître des dieux et des hommes déclare net qu’il ne peut empêcher Sarpédon son fils de mourir dans le temps marqué. Sarpédon était né dans le moment qu’il fallait qu’il naquît, et ne pouvait pas naître dans un autre; il ne pouvait mourir ailleurs que devant Troie; il ne pouvait être enterré ailleurs qu’en Lycie; son corps devait dans le temps marqué produire des légumes qui devaient se changer dans la substance de quelques Lyciens; ses héritiers devaient établir un nouvel ordre dans ses États; ce nouvel ordre devait influer sur les royaumes voisins; il en résultait un nouvel arrangement de guerre et de paix avec les voisins des voisins de la Lycie: ainsi de proche en proche la destinée de toute la terre a dépendu de la mort de Sarpédon, laquelle dépendait de l’enlèvement d’Hélène et cet enlèvement était nécessairement lié au mariage d’Hécube, qui, en remontant à d’autres événements, était lié à l’origine des choses.
Si un seul de ces faits avait été arrangé différemment, il en aurait résulté un autre univers; or, il n’était pas possible que l’univers actuel n’existât pas; donc il n’était pas possible à Jupiter de sauver la vie à son fils, tout Jupiter qu’il était.
Ce système de la nécessité et de la fatalité a été inventé de nos jour par Leibnitz, à ce qu’on dit, sous le nom de raison suffisante; il est pourtant fort ancien: ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que souvent la plus petite cause produit les plus grands effets.
Milord Bolingbroke avoue que les petites querelles de Mme Marlborough et de Mme Masham lui firent naître l’occasion de faire le traité particulier de la reine Anne avec Louis XIV; ce traité amena la paix d’Utrecht cette paix d’Utrecht affermit Philippe V sur le trône d’Espagne. Philippe V prit Naples et la Sicile sur la maison d’Autriche; le prince espagnol qui est aujourd’hui roi de Naples doit évidemment son royaume à milady Masham: et il ne l’aurait pas eu, il ne serait peut-être même pas né, si la duchesse de Marlborough avait été plus complaisante envers la reine d’Angleterre. Son existence à Naples dépendait d’une sottise de plus ou de moins à la cour de Londres(4). Examinez les situations de tous les peuples de l’univers; elles sont ainsi établies sur une suite de faits qui paraissent ne tenir à rien, et qui tiennent à tout. Tout est rouage, poulie, corde, ressort, dans cette immense machine.
Il en est de même dans l’ordre physique. Le vent qui souffle du fond de l’Afrique et des mers australes amène une partie de l’atmosphère africaine, qui retombe en pluie dans les vallées des Alpes: ces pluies fécondent nos terres; notre vent du nord à son tour envoie nos vapeurs chez les Nègres: nous faisons du bien à la Guinée, et la Guinée nous en fait. La chaîne s’étend d’un bout de l’univers à l’autre.
Mais il me semble qu’on abuse étrangement de la vérité de ce principe. On en conclut qu’il n’y a si petit atome dont le mouvement n’ait influé dans l’arrangement actuel du monde entier; qu’il n’y a si petit accident, soit parmi les hommes, soit parmi les animaux, qui ne soit un chaînon essentiel de la grande chaîne du destin.
Entendons-nous: tout effet a évidemment sa cause, à remonter de cause en cause dans l’abîme de l’éternité mais toute cause n’a pas son effet, à descendre jusqu’à la fin des siècles. Tous les événements sont produits les uns par les autres, je l’avoue: si le passé est accouché du présent, le présent accouche du futur; tout a des pères, mais tout n’a pas toujours des enfants. Il en est ici précisément comme d’un arbre généalogique: chaque maison remonte, comme on sait, à Adam mais dans la famille il y a bien des gens qui sont morts sans laisser de postérité.
Il y a un arbre généalogique des événements de ce monde. Il est incontestable que les habitants des Gaules et de l’Espagne descendent de Gomer, et les Russes de Magog son frère cadet; on trouve cette généalogie dans tant de gros livres! Sur ce pied-là, on ne peut nier que le Grand Turc, qui descend aussi de Magog, ne lui ait l’obligation d’avoir été bien battu en 1769, par l’impératrice de Russie Catherine II. Cette aventure tient évidemment à d’autres grandes aventures. Mais que Magog ait craché à droite ou à gauche, auprès du mont Caucase, et qu’il ait fait deux ronds dans un puits ou trois, qu’il ait dormi sur le côté gauche ou sur le côté droit, je ne vois pas que cela ait influé beaucoup sur les affaires présentes.
Il faut songer que tout n’est pas plein dans la nature, comme Newton l’a démontré, et que tout mouvement ne se communique pas de proche en proche, jusqu’à faire le tour du monde, comme il l’a démontré encore. Jetez dans l’eau un corps de pareille densité, vous calculez aisément qu’au bout de quelque temps le mouvement de ce corps, et celui qu’il a communiqué à l’eau, sont anéantis: le mouvement se perd et se répare; donc le mouvement que put produire Magog en crachant dans un puits ne peut avoir influé sur ce qui se passe aujourd’hui en Russe et en Prusse; donc les événements présents ne sont pas les enfants de tous les événements passés: ils ont leurs lignes directes; mais mille petites lignes collatérales ne leur servent à rien. Encore une fois, tout être a son père, mais tout être n’a pas des enfants: nous en dirons peut-être davantage quand nous parlerons de la destinées.

Chaînes des êtres crées – Kette der geschaffenen Lebenwesen (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Chaînes des êtres crées – Die Kette der geschaffenen Lebewesen (Originaltext) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


La première fois que je lus Platon, et que je vis cette gradation d’êtres qui s’élèvent depuis le plus léger atome jusqu’à l’être suprême, cette échelle me frappa d’admiration; mais, l’ayant regardée attentivement, ce grand fantôme s’évanouit, comme autrefois toutes les apparitions s’enfuyaient le matin au chant du coq.
L’imagination se complaît d’abord à voir le passage imperceptible de la matière brute à la matière organisée, des plantes aux zoophytes, de ces zoophytes aux animaux, de ceux-ci à l’homme, de l’homme aux génies, de ces génies revêtus d’un petit corps aérien à des substances immatérielles; et enfin mille ordres différents de ces substances, qui de beautés en perfections s’élèvent jusqu’à Dieu même. Cette hiérarchie plaît beaucoup aux bonnes gens, qui croient voir le pape et ses cardinaux suivis des archevêques, des évêques; après quoi viennent les curés, les vicaires, les simples prêtres, les diacres, les sous-diacres; puis paraissent les moines, et la marche est fermée par les capucins.
Mais il y a peut-être un peu plus de distance entre Dieu et ses plus parfaites créatures qu’entre le saint-père et le doyen du sacré collège: ce doyen peut devenir pape: mais le plus parfait des génies créés par l’Être suprême peut-il devenir Dieu? n’y a-t-il pas l’infini entre Dieu et lui?
Cette chaîne, cette gradation prétendue n’existe pas plus dans les végétaux et dans les animaux; la preuve en est qu’il y a des espèces de plantes et d’animaux qui sont détruites. Nous n’avons plus de murex. Il était défendu aux Juifs de manger du griffon et de l’ixion; ces deux espèces ont probablement disparu de ce monde, quoi qu’en dise Bochart: où donc est la chaîne?
Quand même nous n’aurions pas perdu quelques espèces, il est visible qu’on en peut détruire. Les lions, les rhinocéros commencent à devenir fort rares. Si le reste du monde avait imité les Anglais, il n’y aurait plus de loups sur la terre.
Il est très probable qu’il y a eu des races d’hommes qu’on ne retrouve plus. Mais je veux qu’elles aient toutes subsisté, ainsi que les blancs, les nègres, les Cafres, à qui la nature a donné un tablier de leur peau, pendant du ventre à la moitié des cuisses, et les Samoyèdes dont les femmes ont un mamelon d’un bel ébène, etc.
N’y a-t-il pas visiblement un vide entre le singe et l’homme? N’est-il pas aisé d’imaginer un animal à deux pieds sans plumes, qui serait intelligent sans avoir ni l’usage de la parole, ni notre figure, que nous pourrions apprivoiser, qui répondrait à nos signes, et qui nous servirait? et entre cette nouvelle espèce et celle de l’homme, n’en pourrait-on pas imaginer d’autres?
Par delà l’homme, vous logez dans le ciel, divin Platon, une file de substances célestes; nous croyons, nous autres, à quelques-unes de ces substances, parce que la foi nous l’enseigne. Mais vous, quelle raison avez-vous d’y croire? vous n’avez point parlé apparemment au génie de Socrate; et le bonhomme Hérès, qui ressuscita exprès pour vous apprendre les secrets de l’autre monde, ne vous a rien appris de ces substances.
La prétendue chaîne n’est pas moins interrompue dans l’univers sensible.
Quelle gradation, je vous prie, entre vos planètes! la Lune est quarante fois plus petite que notre globe. Quand vous avez voyagé de la Lune dans le vide, vous trouvez Vénus: elle est environ aussi grosse que la terre. De là vous allez chez Mercure: il tourne dans une ellipse qui est fort différente du cercle que parcourt Vénus; il est vingt-sept fois plus petit que nous, le Soleil un million de fois plus gros, Mars cinq fois plus petit: celui-là fait son tour en deux ans, Jupiter son voisin en douze, Saturne en trente; et encore Saturne, le plus éloigné de tous, n’est pas si gros que Jupiter. Où est la gradation prétendue?
Et puis, comment voulez-vous que dans de grands espaces vides il y ait une chaîne qui lie tout? S’il y en a une, c’est certainement celle que Newton a découverte; c’est elle qui fait graviter tous les globes du monde planétaire les uns vers les autres dans ce vide immense.
O Platon tant admiré! vous n’ avez conté que des fables, et il est venu dans l’île des Chassidérides, où de votre temps les hommes allaient tout nus, un philosophe qui a enseigné à la terre des vérités aussi grandes que vos imaginations étaient puériles.

Certain, Certitude – Gewiss, Gewissheit (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Certain, Certitude (Gewißheit) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Quel âge a votre ami Christophe? — Vingt-huit ans; j’ai vu son contrat de mariage, son extrait baptistaire, je le connais dès son enfance; il a vingt-huit ans, j’en ai la certitude, j’en suis certain. »
A peine ai-je entendu la réponse de cet homme si sûr de ce qu’il dit, et de vingt autres qui confirment la même chose, que j’apprends qu’on a antidaté par des raisons secrètes, et par un manège singulier, l’extrait baptistaire de Christophe. Ceux à qui j’avais parlé n’en savent encore rien; cependant ils ont toujours la certitude de ce qui n’est pas.
Si vous aviez demandé à la terre entière avant le temps de Copernic: « Le soleil est-il levé? s’est-il couché aujourd’hui? » tous les hommes vous auraient répondu: « Nous en avons une certitude entière. » Ils étaient certains, et ils étaient dans l’erreur.
Les sortilèges, les divinations, les obsessions, ont été longtemps la chose du monde la plus certaine aux yeux de tous les peuples. Quelle foule innombrable de gens qui ont vu toutes ces belles choses, qui ont été certains! Aujourd’hui cette certitude est un peu tombée.
Un jeune homme qui commence à étudier la géométrie vient me trouver il n’en est encore qu’à la définition des triangles. N’êtes-vous pas certain, lui dis-je, que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits? Il me répond que non seulement il n’en est point certain, mais qu’il n’a pas même d’idée nette de cette proposition: je la lui démontre; il en devient alors très certain, et il le sera pour toute sa vie.
Voilà une certitude bien différente des autres: elles n’étaient que des probabilités, et ces probabilités examinées sont devenues des erreurs; mais la certitude mathématique est immuable et éternelle.
J’existe, je pense, je sens de la douleur; tout cela est-il aussi certain qu’une vérité géométrique? Oui, tout douteur que je suis, je l’avoue. Pourquoi? C’est que ces vérités sont prouvées par le même principe qu’une chose ne peut être et n’être pas en même temps. Je ne peux en même temps exister et n’exister pas, sentir et ne sentir pas. Un triangle ne peut en même temps avoir cent quatre-vingts degrés, qui sont la somme de deux angles droits, et ne les avoir pas. La certitude physique de mon existence, de mon sentiment, et la certitude mathématique, sont donc de même valeur, quoiqu’elles soient d’un genre différent.
Il n’en est pas de même de la certitude fondée sur les apparences, ou sur les rapports unanimes que nous font les hommes.
Mais quoi! me dites-vous, n’êtes-vous pas certain que Pékin existe? n’avez-vous pas chez vous des étoffes de Pékin? des gens de différents pays, de différentes opinions, et qui ont écrit violemment les uns contre les autres, en prêchant tous la vérité à Pékin, ne vous ont-ils pas assuré de l’existence de cette ville? Je réponds qu’il m’est extrêmement probable qu’il y avait alors une ville de Pékin mais je ne voudrais point parier ma vie que cette ville existe; et je parierai quand on voudra ma vie que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits.
On a imprimé dans le Dictionnaire encyclopédique une chose fort plaisante; on y soutient qu’un homme devrait être aussi sûr, aussi certain que le maréchal de Saxe est ressuscité, si tout Paris le lui disait, qu’il est sûr que le maréchal de Saxe a gagné la bataille de Fontenoy, quand tout Paris le lui dit. Voyez, je vous prie, combien ce raisonnement est admirable. Je crois tout Paris quand il me dit une chose moralement possible; donc je dois croire tout Paris quand il me dit une chose moralement et physiquement impossible.
Apparemment que l’auteur de cet article voulait rire, et que l’autre auteur qui s’extasie à la fin de cet article, et écrit contre lui-même, voulait rire aussi.

Bêtes -Tiere (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Bêtes (Tiere) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Quelle pitié, quelle pauvreté, d’avoir dit que les bêtes sont des machines privées de connaissance et de sentiment, qui font toujours leurs opérations de la même manière, qui n’apprennent rien, ne perfectionnent rien, etc.!
Quoi; cet oiseau qui fait son nid en demi-cercle quand il l’attache à un mur, qui le bâtit en quart de cercle quand il est dans un angle, et en cercle sur un arbre; cet oiseau fait tout de la même façon? Ce chien de chasse que tu as discipliné pendant trois mois n’en sait-il pas plus au bout de ce temps qu’il n’en savait avant tes leçons? Le serin à qui tu apprends un air le répète-t-il dans l’instant? n’emploies-tu pas un temps considérable à l’enseigner? n’as-tu pas vu qu’il se méprend et qu’il se corrige?
Est-ce parce que je te parle que tu juges que j’ai du sentiment, de la mémoire, des idées? Eh bien! je ne te parle pas; tu me vois entrer chez moi l’air affligé, chercher un papier avec inquiétude, ouvrir le bureau où je me souviens de l’avoir enfermé, le trouver, le lire avec joie. Tu juges que j’ai éprouvé le sentiment de l’affliction et celui du plaisir, que j’ai de la mémoire et de la connaissance.
Porte donc le même jugement sur ce chien qui a perdu son maître, qui l’a cherché dans tous les chemins avec des cris douloureux, qui entre dans la maison, agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve enfin dans son cabinet le maître qu’il aime, et qui lui témoigne sa joie par la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses.
Des barbares saisissent ce chien, qui l’emporte si prodigieusement sur l’homme en amitié; ils le clouent sur une table, et ils le dissèquent vivant pour te montrer les veines mésaraïques. Tu découvres dans lui tous les mêmes organes de sentiment qui sont dans toi. Réponds-moi, machiniste, la nature a-t-elle arrangé tous les ressorts du sentiment dans cet animal, afin qu’il ne sente pas? a-t-il des nerfs pour être impassible? Ne suppose point cette impertinente contradiction dans la nature.
Mais les maîtres de l’école demandent ce que c’est que l’âme des bêtes. Je n’entends pas cette question. Un arbre a la faculté de recevoir dans ses fibres sa sève qui circule, de déployer les boutons de ses feuilles et de ses fruits; me demanderez-vous ce que c’est que l’âme de cet arbre? Il a reçu ces dons; l’animal a reçu ceux du sentiment, de la mémoire, d’un certain nombre d’idées. Qui a fait tous ces dons? qui a donné toutes ces facultés? celui qui a fait croître l’herbe des champs, et qui fait graviter la terre vers le soleil.
Les âmes des bêtes sont des formes substantielles, a dit Aristote; et après Aristote, l’école arabe; et après l’école arabe, l’école angélique; et après l’école angélique, la Sorbonne; et après la Sorbonne, personne au monde.
Les âmes des bêtes sont matérielles, crient d’autres philosophes. Ceux-là n’ont pas fait plus de fortune que les autres. On leur a en vain demandé ce que c’est qu’une âme matérielle; il faut qu’ils conviennent que c’est de la matière qui a sensation mais qui lui a donné cette sensation? c’est une âme matérielle, c’est-à-dire que c’est de la matière qui donne de la sensation à la matière; ils ne sortent pas de ce cercle.
Écoutez d’autres bêtes raisonnant sur les bêtes; leur âme est un être spirituel qui meurt avec le corps: mais quelle preuve en avez-vous? quelle idée avez-vous de cet être spirituel, qui, à la vérité, a du sentiment, de la mémoire, et sa mesure d’idées et de combinaisons, mais qui ne pourra jamais savoir ce que sait un enfant de six ans? Sur quel fondement imaginez-vous que cet être, qui n’est pas corps, périt avec le corps? Les plus grandes bêtes sont ceux qui ont avancé que cette âme n’est ni corps ni esprit. Voilà un beau système. Nous ne pouvons entendre par esprit que quelque chose d’inconnu qui n’est pas corps ainsi le système de ces messieurs revient à ceci, que l’âme des bêtes est une substance qui n’est ni corps ni quelque chose qui n’est point un corps.
D’où peuvent procéder tant d’erreurs contradictoires? de l’habitude où les hommes ont toujours été d’examiner ce qu’est une chose, avant de savoir si elle existe. On appelle la languette, la soupape d’un soufflet, l’âme du soufflet. Qu’est-ce que cette âme? c’est un nom que j’ai donné à cette soupape qui baisse, laisse entrer l’air, se relève, et le pousse par un tuyau, quand je fais mouvoir le soufflet.
Il n’y a point là une âme distincte de la machine. Mais qui fait mouvoir le soufflet des animaux? Je vous l’ai déjà dit, celui qui fait mouvoir les astres. Le philosophe qui a dit, Deus est anima brutorum, avait raison; mais il devait aller plus loin. .

Dieu – Gott (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Dieu (Gott) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Sous l’empire d’Arcadius, Logomacos, théologal de Constantinople, alla en Scythie, et s’arrêta au pied du Caucase, dans les fertiles plaines de Zéphirim, sur les frontières de la Colchide. Le bon vieillard Dondindac était dans sa grande salle basse, entre sa grande bergerie et sa vaste grange; il était à genoux avec sa femme, ses cinq fils et ses cinq filles, ses parents et ses valets, et tous chantaient les louanges de Dieu après un léger repas. « Que fais-tu là, idolâtre? lui dit Logomacos. — Je ne suis point idolâtre, dit Dondindac. — Il faut bien que tu sois idolâtre, dit Logomacos, puisque tu n’es pas Grec. Çà, dis-moi, que chantais-tu dans ton barbare jargon de Scythie? — Toutes les langues sont égales aux oreilles de Dieu, répondit le Scythe; nous chantions ses louanges. — Voilà qui est bien extraordinaire, reprit le théologal, une famille scythe qui prie Dieu sans avoir été instruite par nous! » Il engagea bientôt une conversation avec le Scythe Dondindac: car le théologal savait un peu de scythe, et l’autre un peu de grec. On a retrouvé cette conversation dans un manuscrit conservé dans la bibliothèque de Constantinople.
LOGOMACOS.
Voyons si tu sais ton catéchisme. Pourquoi pries-tu Dieu?
DONDINDAC.
C’est qu’il est juste d’adorer l’Être suprême, de qui nous tenons tout.
LOGOMACOS.
Pas mal pour un barbare! Et que lui demandes-tu?
DONDINDAC.
Je le remercie des biens dont je jouis, et même des maux dans lesquels il m’éprouve; mais je me garde bien de lui rien demander; il sait mieux que nous ce qu’il nous faut, et je craindrais d’ailleurs de demander du beau temps quand mon voisin demanderait de la pluie.
LOGOMACOS.
Ah! je me doutais bien qu’il allait dire quelque sottise. Reprenons les choses de plus haut. Barbare, qui t’a dit qu’il y a un Dieu?
DONDINDAC.
La nature entière.
LOGOMACOS.
Cela ne suffit pas. Quelle idée as-tu de Dieu?
DONDINDAC.
L’idée de mon créateur, de mon maître, qui me récompensera si je fais bien, et qui me punira si je fais mal.
LOGOMACOS.
Bagatelles, pauvretés que cela! Venons à l’essentiel. Dieu est-il infini secundum quid, ou selon l’essence?
DONDINDAC.
Je ne vous entends pas.
LOGOMACOS.
Bête brute! Dieu est-il en un lieu, ou hors de tout lieu, ou en tout lieu?
DONDINDAC.
Je n’en sais rien… tout comme il vous plaira.
LOGOMACOS.
Ignorant! Peut-il faire que ce qui a été n’ait point été, et qu’un bâton n’ait pas deux bouts? voit-il le futur comme futur ou comme présent? comment fait-il pour tirer l’être du néant, et pour anéantir l’être?
DONDINDAC.
Je n’ai jamais examiné ces choses.
LOGOMACOS.
Quel lourdaud! Allons, il faut s’abaisser, se proportionner. Dis-moi, mon ami, crois-tu que la matière puisse être éternelle?
DONDINDAC.
Que m’importe qu’elle existe de toute éternité, ou non? je n’existe pas, moi, de toute éternité. Dieu est toujours mon maître; il m’a donné la notion de la justice, je dois la suivre; je ne veux point être philosophe, je veux être homme.
LOGOMACOS.
On a bien de la peine avec ces têtes dures. Allons pied à pied qu’est-ce que Dieu?
DONDINDAC.
Mon souverain, mon juge, mon père.
LOGOMACOS.
Ce n’est pas là ce que je demande. Quelle est sa nature?
DONDINDAC.
D’être puissant et bon.
LOGOMACOS.
Mais, est-il corporel ou spirituel?
DONDINDAC.
Comment voulez-vous que je le sache?
LOGOMACOS.
Quoi! tu ne sais pas ce que c’est qu’un esprit?
DONDINDAC.
Pas le moindre mot: à quoi cela me servirait-il? en serais-je plus juste? serais-je meilleur mari, meilleur père, meilleur maître, meilleur citoyen?
LOGOMACOS.
Il faut absolument t’apprendre ce que c’est qu’un esprit: c’est, c’est, c’est… Je te dirai cela une autre fois.
DONDINDAC.
J’ai bien peur que vous ne me disiez moins ce qu’il est que ce qu’il n’est pas. Permettez-moi de vous faire à mon tour une question. J’ai vu autrefois un de vos temples: pourquoi peignez.. vous Dieu avec une grande barbe?
LOGOMACOS.
C’est une question très difficile, et qui demande des instructions préliminaires.
DONDINDAC.
Avant de recevoir vos instructions, il faut que je vous conte ce qui m’est arrivé un jour. Je venais de faire bâtir un cabinet au bout de mon jardin; j’entendis une taupe qui raisonnait avec un hanneton: « Voilà une belle fabrique, disait la taupe; il faut que ce soit une taupe bien puissante qui ait fait cet ouvrage. — Vous vous moquez, dit le hanneton; c’est un hanneton tout plein de génie qui est l’architecte de ce bâtiment. » Depuis ce temps-là j’ai résolu de ne jamais disputer.

Gloire – Ruhm (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Gloire (Ruhm) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Ben-al-Bétif, ce digne chef des derviches, leur disait un jour: « Mes frères, il est très bon que vous vous serviez souvent de cette sacrée formule de notre Koran, au nom de Dieu très miséricordieux; car Dieu use de miséricorde, et vous apprenez à la faire en répétant souvent les mots qui recommandent une vertu sans laquelle il resterait peu d’hommes sur la terre. Mais, mes frères, gardez-vous bien d’imiter des téméraires qui se vantent à tout propos de travailler à la gloire de Dieu. Si un jeune imbécile soutient une thèse sur les catégories, thèse à laquelle préside un ignorant en fourrure, il ne manque pas d’écrire en gros caractères à la tête de sa thèse Ek allah abron doxa: ad majorem Dei gloriam. Un bon musulman a-t-il fait blanchir son salon, il grave cette sottise sur sa porte; un saka porte de l’eau pour la plus grande gloire de Dieu. C’est un usage impie qui est pieusement mis en usage. Que diriez-vous d’un petit chiaoux qui, en vidant la chaise percée de notre sultan, s’écrierait: « A la plus grande gloire de notre invincible monarque? » Il y a certainement plus loin du sultan à Dieu, que du sultan au petit chiaoux.
Qu’avez-vous de commun, misérables vers de terre, appelés hommes, avec la gloire de l’Être infini? Peut-il aimer la gloire? peut-il en recevoir de vous? peut-il en goûter? jusqu’à quand, animaux à deux pieds, sans plumes, ferez-vous Dieu à votre image? Quoi! parce que vous êtes vains, parce que vous aimez la gloire, vous voulez que Dieu l’aime aussi! S’il y avait plusieurs dieux, chacun d’eux peut-être voudrait obtenir les suffrages de ses semblables. Ce serait là la gloire d’un dieu. Si l’on peut comparer la grandeur infinie avec la bassesse extrême, ce dieu serait comme le roi Alexandre ou Scander, qui ne voulait entrer en lice qu’avec des rois. Mais vous, pauvres gens, quelle gloire voulez-vous donner à Dieu? Cessez de profaner ce nom sacré. Un empereur, nommé Octave Auguste, défendit qu’on le louât dans les écoles de Rome, de peur que son nom ne fût avili. Mais vous ne pouvez ni avilir l’Être suprême, ni l’honorer. Anéantissez-vous, adorez, et taisez-vous.
Ainsi parlait Ben-al-Bétif, et les derviches s’écrièrent: « Gloire à Dieu! Ben-al-Bétif a bien parlé.