Dieu – Gott (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Dieu (Gott) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Sous l’empire d’Arcadius, Logomacos, théologal de Constantinople, alla en Scythie, et s’arrêta au pied du Caucase, dans les fertiles plaines de Zéphirim, sur les frontières de la Colchide. Le bon vieillard Dondindac était dans sa grande salle basse, entre sa grande bergerie et sa vaste grange; il était à genoux avec sa femme, ses cinq fils et ses cinq filles, ses parents et ses valets, et tous chantaient les louanges de Dieu après un léger repas. « Que fais-tu là, idolâtre? lui dit Logomacos. — Je ne suis point idolâtre, dit Dondindac. — Il faut bien que tu sois idolâtre, dit Logomacos, puisque tu n’es pas Grec. Çà, dis-moi, que chantais-tu dans ton barbare jargon de Scythie? — Toutes les langues sont égales aux oreilles de Dieu, répondit le Scythe; nous chantions ses louanges. — Voilà qui est bien extraordinaire, reprit le théologal, une famille scythe qui prie Dieu sans avoir été instruite par nous! » Il engagea bientôt une conversation avec le Scythe Dondindac: car le théologal savait un peu de scythe, et l’autre un peu de grec. On a retrouvé cette conversation dans un manuscrit conservé dans la bibliothèque de Constantinople.
LOGOMACOS.
Voyons si tu sais ton catéchisme. Pourquoi pries-tu Dieu?
DONDINDAC.
C’est qu’il est juste d’adorer l’Être suprême, de qui nous tenons tout.
LOGOMACOS.
Pas mal pour un barbare! Et que lui demandes-tu?
DONDINDAC.
Je le remercie des biens dont je jouis, et même des maux dans lesquels il m’éprouve; mais je me garde bien de lui rien demander; il sait mieux que nous ce qu’il nous faut, et je craindrais d’ailleurs de demander du beau temps quand mon voisin demanderait de la pluie.
LOGOMACOS.
Ah! je me doutais bien qu’il allait dire quelque sottise. Reprenons les choses de plus haut. Barbare, qui t’a dit qu’il y a un Dieu?
DONDINDAC.
La nature entière.
LOGOMACOS.
Cela ne suffit pas. Quelle idée as-tu de Dieu?
DONDINDAC.
L’idée de mon créateur, de mon maître, qui me récompensera si je fais bien, et qui me punira si je fais mal.
LOGOMACOS.
Bagatelles, pauvretés que cela! Venons à l’essentiel. Dieu est-il infini secundum quid, ou selon l’essence?
DONDINDAC.
Je ne vous entends pas.
LOGOMACOS.
Bête brute! Dieu est-il en un lieu, ou hors de tout lieu, ou en tout lieu?
DONDINDAC.
Je n’en sais rien… tout comme il vous plaira.
LOGOMACOS.
Ignorant! Peut-il faire que ce qui a été n’ait point été, et qu’un bâton n’ait pas deux bouts? voit-il le futur comme futur ou comme présent? comment fait-il pour tirer l’être du néant, et pour anéantir l’être?
DONDINDAC.
Je n’ai jamais examiné ces choses.
LOGOMACOS.
Quel lourdaud! Allons, il faut s’abaisser, se proportionner. Dis-moi, mon ami, crois-tu que la matière puisse être éternelle?
DONDINDAC.
Que m’importe qu’elle existe de toute éternité, ou non? je n’existe pas, moi, de toute éternité. Dieu est toujours mon maître; il m’a donné la notion de la justice, je dois la suivre; je ne veux point être philosophe, je veux être homme.
LOGOMACOS.
On a bien de la peine avec ces têtes dures. Allons pied à pied qu’est-ce que Dieu?
DONDINDAC.
Mon souverain, mon juge, mon père.
LOGOMACOS.
Ce n’est pas là ce que je demande. Quelle est sa nature?
DONDINDAC.
D’être puissant et bon.
LOGOMACOS.
Mais, est-il corporel ou spirituel?
DONDINDAC.
Comment voulez-vous que je le sache?
LOGOMACOS.
Quoi! tu ne sais pas ce que c’est qu’un esprit?
DONDINDAC.
Pas le moindre mot: à quoi cela me servirait-il? en serais-je plus juste? serais-je meilleur mari, meilleur père, meilleur maître, meilleur citoyen?
LOGOMACOS.
Il faut absolument t’apprendre ce que c’est qu’un esprit: c’est, c’est, c’est… Je te dirai cela une autre fois.
DONDINDAC.
J’ai bien peur que vous ne me disiez moins ce qu’il est que ce qu’il n’est pas. Permettez-moi de vous faire à mon tour une question. J’ai vu autrefois un de vos temples: pourquoi peignez.. vous Dieu avec une grande barbe?
LOGOMACOS.
C’est une question très difficile, et qui demande des instructions préliminaires.
DONDINDAC.
Avant de recevoir vos instructions, il faut que je vous conte ce qui m’est arrivé un jour. Je venais de faire bâtir un cabinet au bout de mon jardin; j’entendis une taupe qui raisonnait avec un hanneton: « Voilà une belle fabrique, disait la taupe; il faut que ce soit une taupe bien puissante qui ait fait cet ouvrage. — Vous vous moquez, dit le hanneton; c’est un hanneton tout plein de génie qui est l’architecte de ce bâtiment. » Depuis ce temps-là j’ai résolu de ne jamais disputer.

Gloire – Ruhm (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Gloire (Ruhm) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Ben-al-Bétif, ce digne chef des derviches, leur disait un jour: « Mes frères, il est très bon que vous vous serviez souvent de cette sacrée formule de notre Koran, au nom de Dieu très miséricordieux; car Dieu use de miséricorde, et vous apprenez à la faire en répétant souvent les mots qui recommandent une vertu sans laquelle il resterait peu d’hommes sur la terre. Mais, mes frères, gardez-vous bien d’imiter des téméraires qui se vantent à tout propos de travailler à la gloire de Dieu. Si un jeune imbécile soutient une thèse sur les catégories, thèse à laquelle préside un ignorant en fourrure, il ne manque pas d’écrire en gros caractères à la tête de sa thèse Ek allah abron doxa: ad majorem Dei gloriam. Un bon musulman a-t-il fait blanchir son salon, il grave cette sottise sur sa porte; un saka porte de l’eau pour la plus grande gloire de Dieu. C’est un usage impie qui est pieusement mis en usage. Que diriez-vous d’un petit chiaoux qui, en vidant la chaise percée de notre sultan, s’écrierait: « A la plus grande gloire de notre invincible monarque? » Il y a certainement plus loin du sultan à Dieu, que du sultan au petit chiaoux.
Qu’avez-vous de commun, misérables vers de terre, appelés hommes, avec la gloire de l’Être infini? Peut-il aimer la gloire? peut-il en recevoir de vous? peut-il en goûter? jusqu’à quand, animaux à deux pieds, sans plumes, ferez-vous Dieu à votre image? Quoi! parce que vous êtes vains, parce que vous aimez la gloire, vous voulez que Dieu l’aime aussi! S’il y avait plusieurs dieux, chacun d’eux peut-être voudrait obtenir les suffrages de ses semblables. Ce serait là la gloire d’un dieu. Si l’on peut comparer la grandeur infinie avec la bassesse extrême, ce dieu serait comme le roi Alexandre ou Scander, qui ne voulait entrer en lice qu’avec des rois. Mais vous, pauvres gens, quelle gloire voulez-vous donner à Dieu? Cessez de profaner ce nom sacré. Un empereur, nommé Octave Auguste, défendit qu’on le louât dans les écoles de Rome, de peur que son nom ne fût avili. Mais vous ne pouvez ni avilir l’Être suprême, ni l’honorer. Anéantissez-vous, adorez, et taisez-vous.
Ainsi parlait Ben-al-Bétif, et les derviches s’écrièrent: « Gloire à Dieu! Ben-al-Bétif a bien parlé.

Destin – Schicksal (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Destin (Schicksal) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


De tous les livres de l’Occident qui sont parvenus jusqu’à nous le plus ancien est Homère; c’est là qu’on trouve les moeurs de l’antiquité profane, des héros grossiers, des dieux grossiers faits à l’image de l’homme; mais c’est là que, parmi les rêveries et les inconséquences, on trouve aussi les semences de la philosophie, et surtout l’idée du destin qui est maître des dieux, comme les dieux sont les maîtres du monde. Jupiter veut en vain sauver Hectore; il consulte les destinées; il pèse dans une balance les destins d’Hector et d’Achille: il trouve que le Troyen doit absolument être tué par le Grec; il ne peut s’y opposer et dès ce moment, Apollon, le génie gardien d’Hector, est obligé de l’abandonner (Illiade liv. 22). Ce n’est pas qu’Homère ne prodigue souvent, et surtout en ce même endroit, des idées toutes contraires, suivant le privilège de l’antiquité; mais enfin il est le premier chez qui on trouve la notion du destin. Elle était donc très en vogue de son temps.
Les pharisiens, chez le petit peuple juif, n’adoptèrent le destin que plusieurs siècles après car ces pharisiens eux-mêmes, qui furent les premiers lettrés d’entre les Juifs, étaient très nouveaux. Ils mêlèrent dans Alexandrie une partie des dogmes des stoïciens aux anciennes idées juives. Saint Jérôme prétend même que leur secte n’est pas beaucoup antérieure à notre ère vulgaire.
Les philosophes n’eurent jamais besoin ni d’Homère ni des pharisiens pour se persuader que tout se fait par des lois immuables, que tout est arrangé, que tout est un effet nécessaire. Voici comme ils raisonnaient.
Ou le monde subsiste par sa propre nature, par ses lois physiques, ou un être suprême l’a formé selon ses lois suprêmes: dans l’un et l’autre cas, ces lois sont immuables; dans l’un et l’autre cas, tout est nécessaire; les corps graves tendent vers le centre de la terre, sans pouvoir tendre à se reposer en l’air. Les poiriers ne peuvent jamais porter d’ananas. L’instinct d’un épagneul ne peut être l’instinct d’une autruche; tout est arrangé, engrené et limité.
L’homme ne peut avoir qu’un certain nombre de dents, de cheveux et d’idées; il vient un temps où il perd nécessairement ses dents, ses cheveux et ses idées.
Il est contradictoire que ce qui fut hier n’ait pas été, que ce qui est aujourd’hui ne soit pas; il est aussi contradictoire que ce qui doit être puisse ne pas devoir être.
Si tu pouvais déranger la destinée d’une mouche, il n’y aurait nulle raison qui pût t’empêcher de faire le destin de toutes les autres mouches, de tous les autres animaux, de tous les hommes, de toute la nature; tu te trouverais au bout du compte plus puissant que Dieu.
Des imbéciles disent: Mon médecin a tiré ma tante d’une maladie mortelle; il a fait vivre ma tante dix ans de plus qu’elle ne devait vivre. D’autres, qui font les capables, disent: L’homme prudent fait lui-même son destin.

Nullum numen abest, si sit prudentia, sed te
Nos facimus, fortuna, deam, coeloque locamus.


De profonds politiques assurent que si on avait assassiné Cromwell, Ludlow, Ireton, et une douzaine d’autres parlementaires, huit jours avant qu’on coupât la tête à Charles Ier, ce roi aurait pu vivre encore et mourir dans son lit: ils ont raison; ils peuvent ajouter encore que si toute l’Angleterre avait été engloutie dans la mer, ce monarque n’aurait pas péri sur un échafaud auprès de Whitehall, ou salle blanche; mais les choses étaient arrangées de façon que Charles devait avoir le cou coupé.
Le cardinal d’Ossat était sans doute plus prudent qu’un fou des petites-maisons; mais n’est-il pas évident que les organes du sage d’Ossat étaient autrement faits que ceux de cet écervelé? de même que les organes d’un renard sont différents de ceux d’une grue et d’une alouette.
Ton médecin a sauvé ta tante: mais certainement il n’a pas en cela contredit l’ordre de la nature: il l’a suivi. Il est clair que ta tante ne pouvait pas s’empêcher de naître dans une telle ville, qu’elle ne pouvait pas s’empêcher d’avoir dans un tel temps une certaine maladie, que le médecin ne pouvait pas être ailleurs que dans la ville où il était, que ta tante devait l’appeler, qu’il devait lui prescrire les drogues qui l’ont guérie, ou qu’on a cru l’avoir guérie, lorsque la nature était le seul médecin.
Un paysan croit qu’il a grêlé par hasard sur son champ; mais le philosophe sait qu’il n’y a point de hasard, et qu’il était impossible, dans la constitution de ce monde, qu’il ne grêlât pas ce jour-là en cet endroit.
Il y a des gens qui, étant effrayés de cette vérité, en accordent la moitié, comme des débiteurs qui offrent moitié à leurs créanciers, et demandent répit pour le reste. Il y a, disent-ils, des événements nécessaires, et d’autres qui ne le sont pas. Il serait plaisant qu’une partie de ce monde fût arrangée, et que l’autre ne le fût point; qu’une partie de ce qui arrive dût arriver, et qu’une autre partie de ce qui arrive ne dût pas arriver. Quand on y regarde de près, on voit que la doctrine contraire à celle du destin est absurde; mais il y a beaucoup de gens destinés à raisonner mal; d’autres, à ne point raisonner du tout; d’autres, à persécuter ceux qui raisonnent.
Vous me demandez ce que deviendra la liberté. Je ne vous entends pas. Je ne sais ce que c’est que cette liberté dont vous parlez; il y a si longtemps que vous disputez sur sa nature qu’assurément vous ne la connaissez pas. Si vous voulez, ou plutôt, si vous pouvez examiner paisiblement avec moi ce que c’est, passez à la lettre L.

Philosophisches Wörterbuch:
Caractère – Charakter (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Caractère (Charakter) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Du mot grec impression, gravure. C’est ce que la nature a gravé dans nous, pouvons nous l’effacer? Grande question. Si j’ai un nez de travers et deux yeux de chat, je peux les cacher avec un masque. Puis-je davantage sur le caractère que m’a donné la nature? Un homme né violent, emporté, se présente devant François Ier, roi de France, pour se plaindre d’un passe-droit; le visage du prince, le maintien respectueux des courtisans, le lieu même où il est, font une impression puissante sur cet homme; il baisse machinalement les yeux, sa voix rude s’adoucit, il présente humblement sa requête, on le croirait né aussi doux que le sont (dans ce moment au moins) les courtisans au milieu desquels il est même déconcerté; mais si François Ier se connaît en physionomie, il découvre aisément dans ses yeux baissés, mais allumés d’un feu sombre, dans les muscles tendus de son visage, dans ses lèvres serrées l’une contre l’autre, que cet homme n’est pas si doux qu’il est forcé de le paraître. Cet homme le suit à Pavie, est pris avec lui, mené avec lui en prison à Madrid: la majesté de François Ier ne fait plus sur lui la même impression; il se familiarise avec l’objet de son respect. Un jour en tirant les bottes du roi, et les tirant mal, le roi, aigri par son malheur, se fâche; mon homme envoie promener le roi, et jette ses bottes par la fenêtre.
Sixte-Quint était né pétulant, opiniâtre, altier, impétueux, vindicatif, arrogant: ce caractère semble adouci dans les épreuves de son noviciat. Commence-t-il à jouir de quelque crédit dans son ordre, il s’emporte contre un gardien, et l’assomme à coups de poing; est-il inquisiteur à Venise, il exerce sa charge avec insolence le voilà cardinal, il est possédé dalla rabia papale: cette rage l’emporte sur son naturel; il ensevelit dans l’obscurité sa personne et son caractère; il contrefait l’humble et le moribond; on l’élit pape: ce moment rend au ressort, que la politique avait plié, toute son élasticité longtemps retenue; il est le plus fier et le plus despotique des souverains.
Naturam expellas furca, tamen ipsa redibit.
La religion, la morale, mettent un frein à la force du naturel; elles ne peuvent le détruire. L’ivrogne dans un cloître, réduit à un demi-setier de cidre à chaque repas, ne s’enivrera plus, mais il aimera toujours le vin.
L’âge affaiblit le caractère; c’est un arbre qui ne produit plus que quelques fruits dégénérés, mais ils sont toujours de même nature; il se couvre de noeuds et de mousse, il devient vermoulu, mais il est toujours chêne ou poirier. Si on pouvait changer son caractère, ou s’en donnerait un, on serait le maître de la nature. Peut-on se donner quelque chose? ne recevons-nous pas tout? Essayez d’animer l’indolent d’une activité suivie, de glacer par l’apathie l’âme bouillante de l’impétueux, d’inspirer du goût pour la musique et pour la poésie à celui qui manque de goût et d’oreille, vous n’y parviendrez pas plus que si vous entrepreniez de donner la vue à un aveugle-né. Nous perfectionnons, nous adoucissons, nous cachons ce que la nature a mis dans nous; mais nous n’y mettons rien.
On dit à un cultivateur: Vous avez trop de poissons dans ce vivier, ils ne prospéreront pas; voilà trop de bestiaux dans vos prés, l’herbe manque, ils maigriront. Il arrive après cette exhortation que les brochets mangent la moitié des carpes de mon homme, et les loups la moitié de ses moutons; le reste engraisse. S’applaudira-t-il de son économie? Ce campagnard, c’est toi-même; une de tes passions a dévoré les autres, et tu crois avoir triomphé de toi. Ne ressemblons-nous pas presque tous à ce vieux général de quatre-vingt-dix ans, qui, ayant rencontré de jeunes officiers qui faisaient un peu de désordre avec des filles, leur dit tout en colère: Messieurs, est-ce là l’exemple que je vous donne?

Baptême – Taufe (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Baptême (Taufe) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Baptême, mot grec qui signifie immersion. Les hommes, qui se conduisent toujours par les sens, imaginèrent aisément que ce qui lavait le corps lavait aussi l’âme. Il y avait de grandes cuves dans les souterrains des temples d’Égypte pour les prêtres et pour les initiés. Les Indiens, de temps immémorial, se plongeaient et se plongent encore dans le Gange et cette cérémonie est encore fort en vogue. Elle passa chez les Hébreux, on y baptisait tous les étrangers qui embrassaient la loi judaique et qui ne voulaient pas se soumettre á la circoncision, les femmes surtout à qui on ne faisait pas cette opération, et qui ne la subissaient qu’en Etiopie, étaient baptisées, c’était une regénération; cela donnait une nouvelle âme, ainsi qu’en Egypte. Voyez pour cela Epiphanie, Maimonides, et le Gemmare.
Jean baptisa dans le Jourdain, et même il baptisa Jesus, qui pourtant ne baptisa jamais personne, mais qui daigna conserver cette ancienne cérémonie. Tout signe est indifférent par lui-même et Dieu attache sa grâce au signe qu’il lui plait de choisir. Le Baptême fut bientôt le premier rite et le sceau de la religion Chrétienne. Cependant les quinze premiers évêques de Jérusalem furent tous circoncis, il n’est pas sûr qu’ils fussent baptises.
On abusa de ce sacrament dans les premiers siècles du christianisme, rien n’était plus commun que d’attendre l’agonie pour recevoir le Baptême. L’exemple de l’empereur Constantin en est une assez bonne preuve. Voici comme il raisonnait. Le Baptême purifie tout; je peux donc tuer ma femme, mon fils et tous mes parents, après quoi je me ferai baptiser, et j’irai au ciel, comme de fait il n’y manqua pas. Cet exemple était dangereux; peu á peu, la coutume s’abolit d’attendre la mort pour se mettre dans le bain sacré.
Les Grecs conservèrent toujours le baptême par immersion. Les Latins, vers la fin du viiie siècle, ayant étendu leur religion dans les Gaules et la Germanie, et voyant que l’immersion pouvait faire périr les enfants dans des pays froids, substituèrent la simple aspersion; ce qui les fit souvent anathématiser par l’Église grecque.
On demanda à saint Cyprien, évêque de Carthage, si ceux-là étaient réellement baptisés, qui s’étaient fait seulement arroser tout le corps. Il répond dans sa soixante et seizième lettre que « plusieurs Églises ne croyaient pas que ces arrosés fussent chrétiens; que pour lui il pense qu’ils sont chrétiens, mais qu’ils ont une grâce infiniment moindre que ceux qui ont été plongés trois fois selon l’usage. » On était initié chez les chrétiens dès qu’on avait été plongé; avant ce temps on n’était que catéchumène. Il fallait pour être initié avoir des répondants, des cautions qu’on appelait d’un nom qui répond à parrains, afin que l’Église s’assurât de la fidélité des nouveaux chrétiens, et que les mystères ne fussent point divulgués. C’est pourquoi, dans les premiers siècles, les gentils furent généralement aussi mal instruits des mystères des chrétiens que ceux-ci l’étaient des mystères d’Isis et de Cérès Éleusine.
Cyrille d’Alexandrie, dans son écrit contre l’empereur Julien, s’exprime ainsi: « Je parlerais de baptême, si je ne craignais que mon discours ne parvînt à ceux qui ne sont pas initiés. » Il n’y avait alors aucun culte qui n’eût ses mystères, ses associations, ses catéchumènes, ses initiés, ses profès. Chaque secte exigeait de nouvelles vertus, et recommandait à ses pénitents une nouvelle vie, initium novae vitae et de là le mot d’initiation. L’initiation des chrétiens et des chrétiennes était d’être plongés tout nus dans une cuve d’eau froide; la rémission de tous les péchés était attachée à ce signe. Mais la différence entre le baptême chrétien et les cérémonies grecques, syriennes, égyptiennes, romaines, était la même qu’entre la vérité et le mensonge. Jésus-Christ était le grand prêtre de la nouvelle loi.
Dès le seconde siècle on commença à baptiser des enfants; il était naturel que les chrétiens désirassent que leurs enfants, qui auraient été damnés sans ce sacrement, en fussent pourvus. On conclut enfin qu’il fallait le leur administrer au bout de huit jours, parce que, chez les Juifs, c’était à cet âge qu’ils étaient circoncis. L’Église grecque est encore dans cet usage.
Ceux qui mouraient dans la première semaine étaient damnés, selon les Pères de l’Église les plus rigoureux. Mais Pierre Chrysologue, au ve siècle, imagina les limbes, espèce d’enfer mitigé, et proprement bord d’enfer, faubourg d’enfer, où vont les petits enfants morts sans baptême, et où les patriarches restaient avant la descente de Jésus-Christ aux enfers. De sorte que l’opinion que Jésus-Christ était descendu aux limbes, et non aux enfers, a prévalu depuis.
Il a été agité si un chrétien dans les déserts d’Arabie pouvait être baptisé avec du sable? on a répondu que non: si on pouvait baptiser avec de l’eau rose? et on a décidé qu’il fallait de l’eau pure; que cependant on pouvait se servir d’eau bourbeuse. On voit aisément que toute cette discipline a dépendu de la prudence des premiers pasteurs qui l’ont établie.

Philosophisches Taschenwörterbuch:
Luxe – Luxus (Kommentare)

Hintergrund:
In diesem Artikel, wie in diversen anderen Werken, verteidigt Voltaire den Luxus. So in seinem Gedicht Le Mondain, seinen Schriften La Défense du Mondain ou apologie du Luxe; Observations sur MM Jean Lass, Melon et Dutor… le commerce, le luxe, les monnaies et les impôts; im Kapitel 81 des Essai sur les moeurs und in den Idées républicaines, seiner Antwort auf den contract social von Rousseau (1762).
Voltaire richtet sich vor allem gegen christliche Feinde des guten Lebens und Armutsprediger. Er zeigt, dass sich, was als Luxus empfunden wird, im Lauf der Zeit und abhängig von der sozialen Stellung stark verändert.

Die folgenden Kommentare zu einzelnen Textstellen beziehen sich mit ihren Seitenangaben auf die von uns bei Reclam herausgegebene Ausgabe des Philosophischen Taschenwörterbuchs (2020): :

Anmerkung 1 (Seite 289, 1 Absatz: „Möchten die Prediger, dass man den Reichtum verscharrt…?“):
Voltaire schrieb in seinen Republikanischen Ideen: „Ein Gesetz gegen den Luxus….hieße, das Handwerk um seinen rechtmäßigen Verdienst zu bringen, den es mit den Reichen macht; das hieße, diejenigen die ein Vermögen erworben haben, um ihr natürliches Rechts zu berauben, es zu nutzen; das hieße, jeglichen Gewerbefleiß zu ersticken, die Reichen und die Armen zugleich zu schikanieren“ (Voltaire, Rep. Ideen hrsg. v. Günther Mensching, XX). Das richtet sich gegen Rousseau, der die Luxusproduzenten als Produzenten ‚unnützer Dinge‘ bezeichnete, auf die er hohe Steuern zu erheben empfiehlt – als da wären: „Livréen, Equipagen, Spiegel, Kronleuchter, wertvolle Möbel, Stoffe und Vergoldungen, Ehrenhöfe und Gärten in Stadthotels, private Schauspiele aller Art und unnütze Berufe wie Possenreißer, Sänger und Gaukler“ (n. Fetscher, Rousseaus politische Philosophie, S.229).

Anmerkung 2 (S.289 „Der Luxus Athens hat in allen Bereichen bedeutende Menschen hervorgebracht“): Über die Vorteilhaftigkeit des Luxus schrieb Voltaire in der Schrift Observations sur MM Jean Lass, Melon et Dutor… le commerce, le luxe, les monnaies et les impôts, dass die hohe Staatsausgaben bei Colbert zur Kultivierung der Gesellschaft beigetragen hätten, denn: „Das Geld muss zirkulieren, um alle Handwerke zu entwickeln, um die Erzeugnisse der Menschen zu kaufen“. Es bringt also nichts, wenn man es zurückhält, spart, oder gar den Erwerb selbst verurteilt.

Anmerkung 3 (S.290, 1. Absatz: „Ich weiß nicht wie es kam, ..wo das Verbot, selbst gesäten Weizen zu exportieren, unerträglich ist..“): Voltaire wehrte sich ab 1759, als er in Ferney landwirtschaftliche Produkte nach Genf verkaufen wollte, gegen staatliche Exportverbote, er forderte Handelsfreiheit für den Weizen.

Anmerkung 4 (S.290, letzter Absatz: „was sagte man nicht alles gegen die Scheren, als sie erfunden wurden“): analoge Beispiele (eine Gabel zum Essen benutzen) finden sich etwa bei Norbert Elias (Geschichte der Zivilisation, 1.Bd, S.87), der nach A. Cabanès, Moeurs intimes du temps passé (1904), von dem kirchlichen Verdikt gegen eine byzantinische Prinzessin berichtet, nur weil sie zum Essen eine Gabel benutzt hatte. Voltaire hatte etwa über Dom Calmet Zugang zu kulturhistorischen Quellen dieser Art.



Athée – Atheismus (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Athée, Athéisme (Atheist, Atheismus) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Autrefois quiconque avait un secret dans un art courait risque de passer pour un sorcier; toute nouvelle secte était accusée d’égorger des enfants dans ses mystères; et tout philosophe qui s’écartait du jargon de l’école était accusé d’athéisme par les fanatiques et par les fripons, et condamné par les sots.
Anaxagore ose-t-il prétendre que le soleil n’est pas conduit par Apollon monté sur un quadrige; on l’appelle athée, et il est contraint de fuir.
Aristote est accusé d’athéisme par un prêtre; et ne pouvant faire punir son accusateur, il se retire à Chalcis. Mais la mort de Socrate est ce que l’histoire de la Grèce a de plus odieux.
Aristophane (cet homme que les commentateurs admirent parce qu’il était Grec, ne songeant pas que Socrate était Grec aussi), Aristophane fut le premier qui accoutuma les Athéniens à regarder Socrate comme un athée.
Ce poète comique, qui n’est ni comique ni poète, n’aurait pas été admis parmi nous à donner ses farces à la foire Saint-Laurent; il me paraît beaucoup plus bas et plus méprisable que Plutarque ne le dépeint. Voici ce que le sage Plutarque dit de ce farceur: „Le langage d’Aristophane sent son misérable charlatan: ce sont les pointes les plus basses et les plus dégoûtantes; il n’est pas même plaisant pour le peuple, et il est insupportable aux gens de jugement et d’honneur; on ne peut souffrir son arrogance, et les gens de bien détestent sa malignité.“
C’est donc là, pour le dire en passant, le Tabarin que Mme Dacier, admiratrice de Socrate, ose admirer: voilà l’homme qui prépara de loin le poison dont des juges infâmes firent périr l’homme le plus vertueux de à Grèce.
Les tanneurs, les cordonniers et les couturières d’Athènes applaudirent à une farce dans laquelle on représentait Socrate élevé en l’air dans un panier, annonçant qu’il n’y avait point de Dieu, et se vantant d’avoir volé un manteau en enseignant la philosophie. Un peuple entier, dont le mauvais gouvernement autorisait de si infâmes licences, méritait bien ce qui lui est arrivé, de devenir l’esclave des Romains, et de l’être aujourd’hui des Turcs: Les Russes, que la Grèce aurait autrefois appelés barbares, et qui la protègent aujourd’hui, n’auraient ni empoisonné Socrate ni condamné à mort Alcibiade.
Franchissons tout l’espace des temps entre la république romaine et nous. Les Romains, bien plus sages que les Grecs, n’ont jamais persécuté aucun philosophe pour ses opinions. Il n’en est pas ainsi chez les peuples barbares qui ont succédé à l’empire romain. Dès que l’empereur Frédéric II a des querelles avec les papes, on l’accuse d’être athée, et d’être l’auteur du livre des Trois imposteurs, conjointement avec son chancelier De Vineis.
Notre grand chancelier de L’Hospital se déclare-t-il contre les persécutions, on l’accuse aussitôt d’athéisme, Homo doctus, sed verus atheus. Un jésuite autant au-dessous d’Aristophane qu’Aristophane est au-dessous d’Homère, un malheureux dont le nom est devenu ridicule parmi les fanatiques mêmes, le jésuite Garasse, en un mot, trouve partout des athéistes; c’est ainsi qu’il nomme tous ceux contre lesquels il se déchaîne. Il appelle Théodore de Bèze athéiste; c’est lui qui a induit le public en erreur sur Vanini.
La fin malheureuse de Vanini ne nous émeut point d’indignation et de pitié comme celle de Socrate, parce que Vanini n’était qu’un pédant étranger sans mérite; mais enfin Vanini n’était point athée comme on l’a prétendu; il était précisément tout le contraire.
C’était un pauvre prêtre napolitain, prédicateur et théologien de son métier, disputeur à outrance sur les quiddités et sur les universaux et utrum chimera bombinans in vacuo possit comedere secundas intentiones. Mais d’ailleurs, il n’y avait en lui veine qui tendît à l’athéisme. Sa notion de Dieu est de la théologie la plus saine et la plus approuvée. „Dieu est son principe et sa fin, père de l’un et de l’autre, et n’ayant besoin ni de l’un ni de l’autre; éternel sans être dans le temps, présent partout sans être en aucun lieu. Il n’y a pour lui ni passé ni futur; il est partout et hors de tout, gouvernant tout, et ayant tout créé, immuable, infini sans parties; son pouvoir est sa volonté, etc.“ Cela n’est pas bien philosophique, mais cela est de la théologie la plus approuvée.
Vanini se piquait de renouveler ce beau sentiment de Platon embrassé par Averroès, que Dieu avait créé une chaîne d’êtres depuis le plus petit jusqu’au plus grand, dont le dernier chaînon est attaché à son trône éternel; idée, à la vérité, plus sublime que vraie, mais qui est aussi éloignée de l’athéisme que l’être du néant.
Il voyagea pour faire fortune et pour disputer; mais malheureusement la dispute est le chemin opposé à la fortune; on se fait autant d’ennemis irréconciliables qu’on trouve de savants ou de pédants contre lesquels on argumente. Il n’y eut point d’autre source du malheur de Vanini; sa chaleur et sa grossièreté dans la dispute lui valurent la haine de quelques théologiens; et ayant eu une querelle avec un nommé Francon, ou Franconi, ce Francon, ami de ses ennemis, ne manqua pas de l’accuser d’être athée enseignant l’athéisme.
Ce Francon ou Franconi, aidé de quelques témoins, eut la barbarie de soutenir à la confrontation ce qu’il avait avancé. Vanini sur la sellette, interrogé sur ce qu’il pensait de l’existence de Dieu, répondit qu’il adorait avec l’Église un Dieu en trois personnes. Ayant pris à terre une paille: « Il suffit de ce fétu, dit-il, pour prouver qu’il y a un créateur. » Alors il prononça un très beau discours sur la végétation et le mouvement, et sur la nécessité d’un Être suprême, sans lequel il n’y aurait ni mouvement ni végétation.
Le président Grammont, qui était alors à Toulouse, rapporte ce discours dans son Histoire de France, aujourd’hui si oubliée; et ce même Grammont, par un préjugé inconcevable, prétend que Vanini disait tout cela par vanité, ou par crainte, plutôt que par une persuasion intérieure.
Sur quoi peut être fondé ce jugement téméraire et atroce du président Grammont? Il est évident que sur la réponse de Vanini on devait l’absoudre de l’accusation d’athéisme. Mais qu’arriva-t-il? ce malheureux prêtre étranger se mêlait aussi de médecine: on trouva un gros crapaud vivant, qu’il conservait chez lui dans un vase plein d’eau; on ne manqua pas de l’accuser d’être sorcier. On soutint que ce crapaud était le dieu qu’il adorait; on donna un sens impie à plusieurs passages de ses livres, ce qui est très aisé et très commun, en prenant des objections pour les réponses, en interprétant avec malignité quelque phrase louche, en empoisonnant une expression innocente. Enfin la faction qui l’opprimait arracha des juges l’arrêt qui condamna ce malheureux à la mort.
Pour justifier cette mort, il fallait bien accuser cet infortuné de ce qu’il y avait de plus affreux. Le minime et très minime Mersenne a poussé la démence jusqu’à imprimer que Vanini était parti de Naples avec douze de ses apôtres pour aller convertir toutes les nations à l’athéisme. Quelle pitié! comment un pauvre prêtre aurait-il pu avoir douze hommes à ses gages? comment aurait-il pu persuader douze Napolitains de voyager à grands frais pour répandre partout cette doctrine révoltante au péril de leur vie? Un roi serait-il assez puissant pour payer douze prédicateurs d’athéisme? Personne, avant le P. Mersenne, n’avait avancé une si énorme absurdité. Mais après lui on l’a répétée, on en a infecté les journaux, les dictionnaires historiques; et le monde, qui aime l’extraordinaire, a cru cette fable sans examen.
Bayle lui-même, dans ses Pensées diverses, parle de Vanini comme d’un athée: il se sert de cet exemple pour appuyer son paradoxe qu’une société d’athées peut subsister; il assure que Vanini était un homme de moeurs très réglées, et qu’il fut le martyr de son opinion philosophique. Il se trompe également sur ces deux points Le prêtre Vanini nous apprend dans ses Dialogues, faits à l’imitation d’Érasme, qu’il avait eu une maîtresse nommée Isabelle. Il était libre dans ses écrits comme dans sa conduite; mais il n’était point athée.
Un siècle après sa mort, le savant La Croze, et celui qui a pris le nom de Philalète, ont voulu le justifier; mais, comme personne ne s’intéresse à la mémoire d’un malheureux Napolitain, très mauvais auteur, presque personne ne lit ces apologies.
Le jésuite Hardouin, plus savant que Garasse, et non moins téméraire, accuse d’athéisme, dans son livre intitulé Athei detecti, les Descartes, les Arnauld, les Pascal, les Nicole, les Malebranche: heureusement ils n’ont pas eu le sort de Vanini.
De tous ces faits, je passe à la question de morale agitée par Bayle, savoir, si une société d’athées pourrait subsister? Remarquons d’abord sur cet article, quelle est l’énorme contradiction des hommes dans la dispute: ceux qui se sont élevés contre l’opinion de Bayle avec le plus d’emportement. Ceux qui lui ont nié avec le plus d’injures la possibilité d’une société d’athées, ont soutenu depuis avec la même intrépidité que l’athéisme est la religion du gouvernement de la Chine.
Ils se sont assurément bien trompés sur le gouvernement chinois; ils n’avaient qu’à lire les édits des empereurs de ce vaste pays, ils auraient vu que ces édits sont des sermons, et que partout il y est parlé de l’Être suprême, gouverneur, vengeur et rémunérateur.
Mais en même temps ils ne se sont pas moins trompés sur l’impossibilité d’une société d’athées; et je ne sais comment M. Bayle a pu oublier un exemple frappant qui aurait pu rendre sa cause victorieuse.
En quoi une société d’athées paraît-elle impossible? C’est qu’on juge que des hommes qui n’auraient pas de frein ne pourraient jamais vivre ensemble; que les lois ne peuvent rien contre les crimes secrets; qu’il faut un Dieu vengeur qui punisse dans ce monde-ci ou dans l’autre les méchants échappés à la justice humaine.
Les lois de Moïse, il est vrai, n’enseignaient point une vie à venir, ne menaçaient point de châtiments après la mort, n’enseignaient point aux premiers Juifs l’immortalité de l’âme; mais les Juifs, loin d’être athées, loin de croire se soustraire à la vengeance divine, étaient les plus religieux de tous les hommes. Non seulement ils croyaient l’existence d’un Dieu éternel, mais ils le croyaient toujours présent parmi eux; ils tremblaient d’être punis dans eux-mêmes, dans leurs femmes, dans leurs enfants, dans leur postérité, jusqu’à la quatrième génération: ce frein était très puissant.
Mais, chez les gentils, plusieurs sectes n’avaient aucun frein les sceptiques doutaient de tout; les académiciens suspendaient leur jugement sur tout; les épicuriens étaient persuadés que la Divinité ne pouvait se mêler des affaires des hommes, et, dans le fond, ils n’admettaient aucune divinité. Ils étaient convaincus que l’âme n’est point une substance, mais une faculté qui naît et qui périt avec le corps; par conséquent ils n’avaient aucun joug que celui de la morale et de l’honneur. Les sénateurs et les chevaliers romains étaient de véritables athées, car les dieux n’existaient pas pour des hommes qui ne craignaient ni n’espéraient rien d’eux. Le sénat romain était donc réellement une assemblée d’athées du temps de César et de Cicéron.
Ce grand orateur, dans sa harangue pour Cluentius, dit à tout le sénat assemblé: Quel mal lui fait la mort? nous rejetons toutes les fables ineptes des enfers: qu’est-ce donc que la mort lui a ôté? rien que le sentiment des douleurs.
César, l’ami de Catilina, voulant sauver la vie de son ami contre ce même Cicéron, ne lui objecte-t-il pas que ce n’est point punir un criminel que de le faire mourir, que la mort n’est rien, que c’est seulement la fin de nos maux, que c’est un moment plus heureux que fatal? Cicéron et tout le sénat ne se rendent-ils pas à ces raisons? Les vainqueurs et les législateurs de l’univers connu formaient donc visiblement une société d’hommes qui ne craignaient rien des dieux, qui étaient de véritables athées.
Bayle examine ensuite si l’idolâtrie est plus dangereuse que l’athéisme; si c’est un crime plus grand de ne point croire à la Divinité que d’avoir d’elle des opinions indignes: il est en cela du sentiment de Plutarque; il croit qu’il vaut mieux n’avoir nulle opinion qu’une mauvaise opinion; mais, n’en déplaise à Plutarque, il est évident qu’il valait infiniment mieux pour les Grecs de craindre Cérès, Neptune et Jupiter, que de ne rien craindre du tout. Il est clair que la sainteté des serments est nécessaire, et qu’on doit se fier davantage à ceux qui pensent qu’un faux serment sera puni, qu’à ceux qui pensent qu’ils peuvent faire un faux serment avec impunité. Il est indubitable que, dans une ville policée, il est infiniment plus utile d’avoir une religion, même mauvaise, que de n’en avoir point du tout.
Il paraît donc que Bayle devait plutôt examiner quel est le plus dangereux, du fanatisme, ou de l’athéisme. Le fanatisme est certainement mille fois plus funeste; car l’athéisme n’inspire point de passion sanguinaire, mais le fanatisme en inspire; l’athéisme ne s’oppose pas aux crimes, mais le fanatisme les fait commettre. Supposons, avec l’auteur du Commentarium rerum Gallicarum, que le chancelier de L’Hospital fût athée; il n’a fait que de sages lois, et n’a conseillé que la modération et la concorde: les fanatiques commirent les massacres de la Saint-Barthélemy. Hobbes passa pour un athée; il mena une vie tranquille et innocente: les fanatiques de son temps inondèrent de sang l’Angleterre, l’Écosse, et l’Irlande. Spinosa était non seulement athée, mais il enseigna l’athéisme: ce ne fut pas lui assurément qui eut part à l’assassinat juridique de Barneveldt; ce ne fut pas lui qui déchira les deux frères de Wit en morceaux, et qui les mangea sur le gril.
Les athées sont pour la plupart des savants hardis et égarés qui raisonnent mal, et qui, ne pouvant comprendre la création, l’origine du mal, et d’autres difficultés, ont recours à l’hypothèse de l’éternité des choses et de la nécessité.
Les ambitieux, les voluptueux, n’ont guère le temps de raisonner et d’embrasser un mauvais système; ils ont autre chose à faire qu’à comparer Lucrèce avec Socrate. C’est ainsi que vont les choses parmi nous.
Il n’en était pas ainsi du sénat de Rome, qui était presque tout composé d’athées de théorie et de pratique, c’est-à-dire qui ne croyaient ni à la Providence ni à une vie future; ce sénat était une assemblée de philosophes, de voluptueux et d’ambitieux, tous très dangereux, et qui perdirent la république. L’épicuréisme subsista sous les empereurs: les athées du sénat avaient été des factieux dans les temps de Sylla et de César; ils furent sous Auguste et Tibère des athées esclaves.
Je ne voudrais pas avoir affaire à un prince athée, qui trouverait son intérêt à me faire piler dans un mortier: je suis bien sûr que je serais pilé. Je ne voudrais pas, si j’étais souverain, avoir affaire à des courtisans athées, dont l’intérêt serait de m’empoisonner: il me faudrait prendre au hasard du contre-poison tous les jours. Il est donc absolument nécessaire pour les princes et pour les peuples, que l’idée d’un Être suprême, créateur, gouverneur, rémunérateur et vengeur, soit profondément gravée dans les esprits.
Il y a des peuples athées, dit Bayle dans ses Pensées sur les comètes. Les Cafres, les Hottentots, les Topinambous, et beaucoup d’autres petites nations, n’ont point de Dieu: ils ne le nient ni ne l’affirment; ils n’en ont jamais entendu parler. Dites-leur qu’il y en a un, ils le croiront aisément; dites-leur que tout se fait par la nature des choses, ils vous croiront de même. Prétendre qu’ils sont athées est la même imputation que si l’on disait qu’ils sont anticartésiens; ils ne sont ni pour ni contre Descartes. Ce sont de vrais enfants; un enfant n’est ni athée ni déiste, il n’est rien.
Quelle conclusion tirerons-nous de ceci? Que l’athéisme est un monstre très pernicieux dans ceux qui gouvernent; qu’il l’est aussi dans les gens de cabinet, quoique leur vie soit innocente, parce que de leur cabinet ils peuvent percer jusqu’à ceux qui sont en place; que, s’il n’est pas si funeste que le fanatisme, il est presque toujours fatal à la vertu. Ajoutons surtout qu’il y a moins d’athées aujourd’hui que jamais, depuis que les philosophes ont reconnu qu’il n’y a aucun être végétant sans germe, aucun germe sans dessein, etc., et que le blé ne vient point de pourriture.
Des géomètres non philosophes ont rejeté les causes finales, mais les vrais philosophes les admettent; et, comme l’a dit un auteur connu, un catéchiste annonce Dieu aux enfants, et Newton le démontre aux sages.

Apocalypse – Apokalypse (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Apocalypse (Apokalypse) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Justin le martyr, qui écrivait vers l’an 270 de notre ère, est le premier qui ait parlé de l’Apocalypse; il l’attribue à l’apôtre Jean l’évangéliste: dans son dialogue avec Tryphon, ce Juif lui demande s’il ne croit pas que Jérusalem doit être rétablie un jour. Justin lui répond qu’il le croit ainsi avec tous les chrétiens qui pensent juste. Il y a eu, dit-il, parmi nous un certain personnage nommé Jean, l’un des douze apôtres de Jésus; il a prédit que les fidèles passeront mille ans dans Jérusalem.
Ce fut une opinion longtemps reçue parmi les chrétiens que ce règne de mille ans. Cette période était en grand crédit chez les Gentils. Les âmes des Égyptiens reprenaient leurs corps au bout de mille années; les âmes du purgatoire, chez Virgile, étaient exercées pendant ce même espace de temps, et mille per annos. La nouvelle Jérusalem de mille années devait avoir douze portes, en mémoire des douze apôtres; sa forme devait être carrée; sa longueur, sa largeur et sa hauteur devaient être de douze mille stades, c’est-à-dire cinq cents lieues, de façon que les maisons devaient avoir aussi cinq cents lieues de haut. Il eût été assez désagréable de demeurer au dernier étage; mais enfin c’est ce que dit l’Apocalypse au chapitre XXI.
Si Justin est le premier qui attribua l’Apocalypse à saint Jean, quelques personnes ont récusé son témoignage, attendu que dans ce même dialogue avec le Juif Tryphon, il dit que, selon le récit des apôtres, Jésus-Christ, en descendant dans le Jourdain, fit bouillir les eaux de ce fleuve, et les enflamma, ce qui pourtant ne se trouve dans aucun écrit des apôtres.
Le même saint Justin cite avec confiance les oracles des sibylles; de plus, il prétend avoir vu les restes des petites maisons où furent enfermés les soixante et douze interprètes dans le phare d’Égypte, du temps d’Hérode. Le témoignage d’un homme qui a eu le malheur de voir ces petites maisons, semble indiquer que l’auteur devait y être renfermé.
Saint Irénée, qui vient après, et qui croyait aussi le règne de mille ans, dit qu’il a appris d’un vieillard que saint Jean avait fait l’Apocalypse. Mais on a reproché à saint Irénée d’avoir écrit qu’il ne doit y avoir que quatre Évangiles, parce qu’il n’y a que quatre parties du monde et quatre vents cardinaux, et qu’Ézéchiel n’a vu que quatre animaux. Il appelle ce raisonnement une démonstration. Il faut avouer que la manière dont Irénée démontre vaut bien celle dont Justin a vu.
Clément d’Alexandrie ne parle dans ses Electa que d’une Apocalypse de saint Pierre dont on faisait très grand cas. Tertullien, un des grands partisans du règne de mille ans, non seulement assure que saint Jean a prédit cette résurrection et ce règne de mille ans dans la ville de Jérusalem, mais il prétend que cette Jérusalem commençait déjà à se former dans l’air; que tous les chrétiens de la Palestine, et même les païens, l’avaient vue pendant quarante jours de suite à la fin de la nuit: mais malheureusement la ville disparaissait dès qu’il était jour.
Origène, dans sa préface sur l’Évangile de saint Jean, et dans ses Homélies, cite les oracles de l’Apocalypse; mais il cite également les oracles des sibylles. Cependant saint Denys d’Alexandrie, qui écrivait vers le milieu du iiie siècle, dit dans un de ses fragments, conservés par Eusèbe, que presque tous les docteurs rejetaient l’Apocalypse comme un livre destitué de raison; que ce livre n’a point été composé par saint Jean mais par un nommé Cérinthe, lequel s’était servi d’un grand nom, pour donner plus de poids à ses rêveries.
Le concile de Laodicée, tenu en 360, ne compta point l’Apocalypse parmi les livres canoniques. Il était bien singulier que Laodicée, qui était une Église à qui l’Apocalypse était adressée, rejetât un trésor destiné pour elle; et que l’évêque d’Éphèse, qui assistait au concile, rejetât aussi ce livre de saint Jean enterré dans Éphèse.
Il était visible à tous les yeux que saint Jean se remuait toujours dans sa fosse, et faisait continuellement hausser et baisser la terre.
Cependant les mêmes personnages qui étaient sûrs que saint Jean n’était pas bien mort, étaient sûrs aussi qu’il n’avait pas fait l’Apocalypse. Mais ceux qui tenaient pour le règne de mille ans, furent inébranlables dans leur opinion. Sulpice Sévère, dans son Histoire sacrée, livre 9, traite d’insensés et d’impies ceux qui ne recevaient pas l’Apocalypse. Enfin, après bien des oppositions de concile à concile, l’opinion de Sulpice Sévère a prévalu. La matière ayant été éclaircie, l’Église a décidé que l’Apocalypse est incontestablement de saint Jean: ainsi il n’y a pas d’appel.
Chaque communion chrétienne s’est attribué les prophéties contenues dans ce livre; les Anglais y ont trouvé les révolutions de la Grande-Bretagne; les luthériens, les troubles d’Allemagne; les réformés de France, le règne de Charles IX et la régence de Catherine de Médicis: ils ont tous également raison. Bossuet et Newton ont commenté tous deux l’Apocalypse; mais, à tout prendre, les déclamations éloquentes de l’un, et les sublimes découvertes de l’autre, leur ont fait plus d’honneur que leurs commentaires.

Anthropophages – Menschenfresser (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Anthropophages (Menschenfresser) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Nous avons parlé de l’amour. Il est dur de passer de gens qui se baisent à gens qui se mangent. Il n’est que trop vrai qu’il y a eu des anthropophages; nous en avons trouvé en Amérique; il y en a peut-être encore, et les cyclopes n’étaient pas les seuls dans l’antiquité qui se nourrissaient quelquefois de chair humaine. Juvénal (Sat. XV, v. 83) rapporte que chez les Égyptiens, ce peuple si sage, si renommé pour les lois, ce peuple si pieux qui adorait des crocodiles et des oignons, les Tintirites mangèrent un de leurs ennemis tombé entre leurs mains; il ne fait pas ce conte sur un ouï-dire, ce crime fut commis presque sous ses yeux; il était alors en Égypte, et à peu de distance de Tintire. Il cite, à cette occasion, les Gascons et les Sagontins qui se nourrirent autrefois de la chair de leurs compatriotes.
En 1725 on amena quatre sauvages du Mississipi à Fontainebleau, j’eus l’honneur de les entretenir; il y avait parmi eux une dame du pays, à qui je demandai si elle avait mangé des hommes; elle me répondit très naïvement qu’elle en avait mangé. Je parus un peu scandalisé; elle s’excusa en disant qu’il valait mieux manger son ennemi mort que de le laisser dévorer aux bêtes, et que les vainqueurs méritaient d’avoir la préférence. Nous tuons en bataille rangée ou non rangée nos voisins, et pour la plus vile récompense nous travaillons à la cuisine des corbeaux et des vers. C’est là qu’est l’horreur, c’est là qu’est le crime; qu’importe quand on est tué d’être mangé par un soldat, ou par un corbeau et un chien?
Nous respectons plus les morts que les vivants. Il aurait fallu respecter les uns et les autres. Les nations qu’on nomme policées ont eu raison de ne pas mettre leurs ennemis vaincus à la broche; car s’il était permis de manger ses voisins, on mangerait bientôt ses compatriotes; ce qui serait un grand inconvénient pour les vertus sociales Mais les nations policées ne l’ont pas toujours été; toutes ont été longtemps sauvages; et dans le nombre infini de révolutions que ce globe a éprouvées, le genre humain a été tantôt nombreux, tantôt très rare. Il est arrivé aux hommes ce qui arrive aujourd’hui aux éléphants, aux lions, aux tigres dont l’espèce a beaucoup diminué. Dans les temps où une contrée était peu peuplée d’hommes, ils avaient peu d’art, ils étaient chasseurs. L’habitude de se nourrir de ce qu’ils avaient tué, fit aisément qu’ils traitèrent leurs ennemis comme leurs cerfs et leurs sangliers. C’est la superstition qui a fait immoler des victimes humaines, c’est la nécessité qui les a fait manger.
Quel est le plus grand crime, ou de s’assembler pieusement pour plonger un couteau dans le coeur d’une jeune fille ornée de bandelettes, à l’honneur de la Divinité, ou de manger un vilain homme qu’on a tué à son corps défendant?
Cependant nous avons beaucoup plus d’exemples de filles et de garçons sacrifiés, que de filles et de garçons mangés: presque toutes les nations connues ont sacrifié des garçons et des filles. Les Juifs en immolaient. Cela s’appelait l’anathème; c’était un véritable sacrifice, et il est ordonné au vingt-et-unième chapitre du Lévitique de ne point épargner les âmes vivantes qu’on aura vouées; mais il ne leur est prescrit en aucun endroit d’en manger, on les en menace seulement: Moïse, comme nous avons vu, dit aux Juifs que, s’ils n’observent pas ses cérémonies, non seulement ils auront la gale, mais que les mères mangeront leurs enfants. Il est vrai que du temps d’Ézéchiel les Juifs devaient être dans l’usage de manger de la chair humaine, car il leur prédit, au chapitre xxxix, que Dieu leur fera manger non seulement les chevaux de leurs ennemis, mais encore les cavaliers et les autres guerriers. Et en effet, pourquoi les Juifs n’auraient-ils pas été anthropophages? C’eût été la seule chose qui eût manqué au peuple de Dieu pour être le plus abominable peuple de la terre J’ai lû dans des anecdotes de l’histoire d’Angleterre du temps de Cromwell qu’une chandelière de Dublin vendait d’excellentes chandèles faites avec de la graisse d’Anglais. Quelque temps après un de ses chalands se plaignit de ce que sa chandèle n’était plus si bonne. Hélas! dit-elle, c’est que les Anglais nous ont manqué ce mois-ci. Je demande qui était le plus coupable, ou ceux qui égorgeaient des Anglais, ou cette femme qui faisait des chandèles avec leur suif?

Circoncision – Beschneidung (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Abraham aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Lorsque Hérodote raconte ce que lui ont dit les barbares chez lesquels il a voyagé, il raconte des sottises; et c’est ce que font la plupart de nos voyageurs: aussi n’exige-t-il pas qu’on le croie, quand il parle de l’aventure de Gigès et de Candaule; d’Arion, porté sur un dauphin et de l’oracle consulté pour savoir ce que faisait Crésus, qui répondit qu’il faisait cuire alors une tortue dans un pot couvert; et du cheval de Darius, qui, ayant henni le premier de tous, déclara son maître roi et de cent autres fables propres à amuser des enfants, et à être compilées par des rhéteurs; mais quand il parle de ce qu’il a vu, des coutumes des peuples qu’il a examinées, de leurs antiquités qu’il a consultées, il parle alors à des hommes. 

« Il semble, dit-il au livre d’Euterpe, que les habitants de la Colchide sont originaires d’Égypte: j’en juge par moi-même plutôt que par ouï-dire, car j’ai trouvé qu’en Colchide on se souvenait bien plus des anciens Égyptiens qu’on ne se ressouvenait des anciennes coutumes de Colchos en Égypte. 
Ces habitants des bords du Pont-Euxin prétendaient être une colonie établie par Sésostris; pour moi, je le conjecturerais non seulement parce qu’ils sont basanés, et qu’ils ont les cheveux frisés, mais parce que les peuples de Colchide, d’Égypte et d’Éthiopie, sont les seuls sur la terre qui se sont fait circoncire de tout temps: car les Phéniciens, et ceux de la Palestine, avouent qu’ils ont pris la circoncision des Égyptiens. Les Syriens qui habitent aujourd’hui sur les rivages du Thermodon et de Pathenie, et les Macrons leurs voisins, avouent qu’il n’y a pas longtemps qu’ils se sont conformés à cette coutume d’Égypte; c’est par là principalement qu’ils sont reconnus pour Égyptiens d’origine. 
A l’égard de l’Éthiopie et de l’Égypte, comme cette cérémonie est très ancienne chez ces deux nations, je ne saurais dire qui des deux tient la circoncision de l’autre: il est toutefois vraisemblable que les Éthiopiens la prirent des Égyptiens comme, au contraire, les Phéniciens ont aboli l’usage de circoncire les enfants nouveau-nés, depuis qu’ils ont eu plus de commerce avec les Grecs. » 

Il est évident, par ce passage d’Hérodote, que plusieurs peuples avaient pris la circoncision de l’Égypte; mais aucune nation n’a jamais prétendu avoir reçu la circoncision des Juifs. A qui peut-on donc attribuer l’origine de cette coutume, ou à la nation de qui cinq ou six autres confessent la tenir, ou à une autre nation bien moins puissante, moins commerçante, moins guerrière, cachée dans un coin de l’Arabie Pétrée, qui n’a jamais communiqué le moindre de ses usages à aucun peuple? 

Les Juifs disent qu’ils ont été reçus autrefois par charité dans l’Égypte; n’est-il pas bien vraisemblable que le petit peuple a imité un usage du grand peuple, et que les Juifs ont pris quelques coutumes de leurs maîtres? 

Clément d’Alexandrie rapporte que Pythagore, voyageant chez les Égyptiens, fut obligé de se faire circoncire, pour être admis à leurs mystères; il fallait donc absolument être circoncis pour être au nombre des prêtres d’Égypte. Ces prêtres existaient lorsque Joseph arriva en Égypte; le gouvernement était très ancien, et les cérémonies antiques de l’Égypte observées avec la plus scrupuleuse exactitude. 

Les Juifs avouent qu’ils demeurèrent pendant deux cent cinq ans en Égypte; ils disent qu’ils ne se firent point circoncire dans cet espace de temps: il est donc clair que, pendant deux cent cinq ans, les Égyptiens n’ont pas reçu la circoncision des Juifs; l’auraient-ils prise d’eux, après que les Juifs leur eurent volé tous les vases qu’on leur avait prêtés, et se furent enfuis dans le désert avec leur proie, selon leur propre témoignage? Un maître adoptera-t-il la principale marque de la religion de son esclave voleur et fugitif? Cela n’est pas dans la nature humaine. 

Il est dit, dans le livre de Josué que les Juifs furent circoncis dans le désert: « Je vous ai délivrés de ce qui faisait votre opprobre chez les Égyptiens. » Or quel pouvait être cet opprobre pour des gens qui se trouvaient entre les peuples de Phénicie, les Arabes et les Égyptiens, si ce n’est ce qui les rendait méprisables à ces trois nations? comment leur ôte-t-on cet opprobre? en leur ôtant un peu de prépuce: n’est-ce pas là le sens naturel de ce passage? 

La Genèse dit qu’Abraham avait été circoncis auparavant; mais Abraham voyagea en Égypte, qui était depuis longtemps un royaume florissant, gouverné par un puissant roi; rien n’empêche que dans un royaume si ancien la circoncision ne fût établie. De plus, la circoncision d’Abraham n’eut point de suite; sa postérité ne fut circoncise que du temps de Josué. 

Or, avant Josué, les Israélites, de leur aveu même, prirent beaucoup de coutumes des Égyptiens; ils les imitèrent dans plusieurs sacrifices, dans plusieurs cérémonies, comme dans les jeûnes qu’on observait les veilles des fêtes d’Isis, dans les ablutions, dans la coutume de raser la tête des prêtres; l’encens, le candélabre, le sacrifice de la vache rousse, la purification avec de l’hysope, l’abstinence du cochon, l’horreur des ustensiles de cuisine des étrangers, tout atteste que le petit peuple hébreu, malgré son aversion pour la grande nation égyptienne, avait retenu une infinité d’usages de ses anciens maîtres. Ce bouc Hazazel qu’on envoyait dans le désert, chargé des péchés du peuple, était une imitation visible d’une pratique égyptienne; les rabbins conviennent même que le mot d’Hazazel n’est point hébreu. Rien n’empêche donc que les Hébreux n’aient imité les Égyptiens dans la circoncision, comme faisaient les Arabes leurs voisins. 

Il n’est point extraordinaire que Dieu, qui a sanctifié le baptême, si ancien chez les Asiatiques, ait sanctifié aussi la circoncision, non moins ancienne chez les Africains. On a déjà remarqué qu’il est le maître d’attacher ses grâces aux signes qu’il daigne choisir. 

Au reste, depuis que, sous Josué, le peuple juif eut été circoncis, il a conservé cet usage jusqu’à nos jours; les Arabes y ont aussi toujours été fidèles; mais les Égyptiens, qui dans les premiers temps circoncisaient les garçons et les filles, cessèrent avec le temps de faire aux filles cette opération, et enfin la restreignirent aux prêtres, aux astrologues et aux prophètes. C’est ce que Clément d’Alexandrie et Origène nous apprennent. En effet, on ne voit point que les Ptolémées aient jamais reçu la circoncision. 

Les auteurs latins qui traitent les Juifs avec un si profond mépris qu’ils les appellent curtus apella, par dérision, credat Judaeus apella, curti Judaei, ne donnent point de ces épithètes aux Égyptiens. Tout le peuple d’Égypte est aujourd’hui circoncis, mais par une autre raison, parce que le mahométisme adopta l’ancienne circoncision de l’Arabie. 

C’est cette circoncision arabe qui a passé chez les Éthiopiens, où l’on circoncit encore les garçons et les filles. 

Il faut avouer que cette cérémonie de la circoncision paraît d’abord bien étrange; mais on doit remarquer que de tout temps les prêtres de l’Orient se consacraient à leurs divinités par des marques particulières. On gravait avec un poinçon une feuille de lierre sur les prêtres de Bacchus. Lucien nous dit que les dévots à la déesse Isis s’imprimaient des caractères sur le poignet et sur le cou. Les prêtres de Cybèle se rendaient eunuques. 

Il y a grande apparence que les Égyptiens, qui révéraient l’instrument de la génération, et qui en portaient l’image en pompe dans leurs processions, imaginèrent d’offrir à Isis et Osiris, par qui tout s’engendrait sur la terre, une partie légère du membre par qui ces dieux avaient voulu que le genre humain se perpétuât. Les anciennes moeurs orientales sont si prodigieusement différentes des nôtres que rien ne doit paraître extraordinaire à quiconque a un peu de lecture. Un Parisien est tout surpris quand on lui dit que les Hottentots font couper à leurs enfants mâles un testicule. Les Hottentots sont peut-être surpris que les Parisiens en gardent deux.