Luxus (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Luxe aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 wieder.




On a déclamé contre le luxe depuis deux mille ans, en vers et en prose, et on l’a toujours aimé.

Que n’a-t-on pas dit des premiers Romains? Quand ces brigands rangèrent et pillèrent les moissons; quand, pour augmenter leur pauvre village, ils détruisirent les pauvres villages des Volsques et des Samnites, c’étaient des hommes désintéressés et vertueux: ils n’avaient pu encore voler ni or, ni argent, ni pierreries, parce qu’il n’y en avait point dans les bourgs qu’ils saccagèrent. Leurs bois ni leurs marais ne produisaient ni perdrix, ni faisans, et on loue leur tempérance.
Quand de proche en proche ils eurent tout pillé, tout volé du fond du golfe Adriatique à l’Euphrate, et qu’ils eurent assez d’esprit pour jouir du fruit de leurs rapines; quand ils cultivèrent les arts, qu’ils goûtèrent tous les plaisirs, et qu’ils les firent même goûter aux vaincus, ils cessèrent alors, dit-on, d’être sages et gens de bien.
Toutes ces déclamations se réduisent à prouver qu’un voleur ne doit jamais ni manger le dîner qu’il a pris, ni porter l’habit qu’il a dérobé, ni se parer de la bague qu’il a volée. Il fallait, dit-on, jeter tout cela dans la rivière, pour vivre en honnêtes gens; dites plutôt qu’il ne fallait pas voler. Condamnez les brigands quand ils pillent; mais ne les traitez pas d’insensés quand ils jouissent. De bonne foi, lorsqu’un grand nombre de marins anglais se sont enrichis à la prise de Pondichéri et de la Havane, ont-ils eu tort d’avoir ensuite du plaisir à Londres, pour prix de la peine qu’ils avaient eue au fond de l’Asie et de l’Amérique?
Les déclamateurs voudraient qu’on enfouît les richesses qu’on aurait amassées par le sort des armes, par l’agriculture, par le commerce, et par l’industrie. Ils citent Lacédémone; que ne citent-ils aussi la république de Saint-Marin? Quel bien Sparte fit-elle à la Grèce? Eut-elle jamais des Démosthène, des Sophocle, des Apelle, et des Phidias? Le luxe d’Athènes a fait des grands hommes en tout genre; Sparte a eu quelques capitaines, et encore en moins grand nombre que les autres villes. Mais à la bonne heure qu’une aussi petite république que Lacédémone conserve sa pauvreté. On arrive à la mort aussi bien en manquant de tout qu’en jouissant de ce qui peut rendre la vie agréable. Le sauvage du Canada subsiste et atteint la vieillesse comme le citoyen d’Angleterre qui a cinquante mille guinées de revenu. Mais qui comparera jamais le pays des Iroquois à l’Angleterre?
Que la république de Raguse et le canton de Zug fassent des lois somptuaires, ils ont raison, il faut que le pauvre ne dépense point au delà de ses forces; mais j’ai lu quelque part.

Sachez surtout que le luxe enrichit
Un grand État, s’il en perd un petit.

Si par le luxe vous entendez l’excès, on sait que l’excès est pernicieux en tout genre, dans l’abstinence comme dans la gourmandise; dans l’économie comme dans la libéralité. Je ne sais comment il est arrivé que dans mes villages où la terre est ingrate, les impôts lourds, la défense d’exporter le blé qu’on a semé intolérable, il n’y a guère pourtant de colon qui n’ait un bon habit de drap, et qui ne soit bien chaussé et bien nourri. Si ce colon laboure avec son bel habit, avec du linge blanc, les cheveux frisés et poudrés, voilà certainement le plus grand luxe, et le plus impertinent; mais qu’un bourgeois de Paris ou de Londres paraisse au spectacle vêtu comme ce paysan, voilà la lésine la plus grossière et la plus ridicule.

Est modus in rebus, sunt certi denique fines,
Quos ultra citraque nequit consistere rectum.

Lorsqu’on inventa les ciseaux, qui ne sont certainement pas de l’antiquité la plus haute, que ne dit-on pas contre les premiers qui se rognèrent les ongles et qui coupèrent une partie des cheveux qui leur tombaient sur le nez? On les traita sans doute de petits-maîtres et de prodigues qui achetaient chèrement un instrument de la vanité, pour gâter l’ouvrage du Créateur. Quel péché énorme d’accourcir la corne que Dieu fait naître au bout de nos doigts! C’était un outrage à la Divinité. Ce fut bien pis quand on inventa les chemises et les chaussons. On sait avec quelle fureur les conseillers, qui n’en avaient jamais porté, crièrent contre les jeunes magistrats qui donnèrent dans ce luxe funeste.