Vertu – Tugend (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Vertu – Tugend aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Qu’est-ce que vertu? Bienfaisance envers le prochain. Puis-je appeler vertu autre chose que ce qui me fait du bien? Je suis indigent, tu es libéral; je suis en danger, tu me secours; on me trompe, tu me dis la vérité; on me néglige, tu me consoles; je suis ignorant, tu m’instruis: je t’appellerai sans difficulté vertueux. Mais que deviendront les vertus cardinales et théologales? Quelques-unes resteront dans les écoles.
Que m’importe que tu sois tempérant? c’est un précepte de santé que tu observes; tu t’en porteras mieux, et je t’en félicite. Tu as la foi et l’espérance, et je t’en félicite encore davantage; elles te procureront la vie éternelle. Tes vertus théologales sont des dons célestes; tes cardinales sont d’excellentes qualités qui servent à te conduire mais elles ne sont point vertus par rapport à ton prochain. Le prudent se fait du bien, le vertueux en fait aux hommes. Saint Paul a eu raison de te dire que la charité l’emporte sur la foi, sur l’espérance.
Mais quoi, n’admettra-t-on de vertus que celles qui sont utiles au prochain? Eh! comment puis-je en admettre d’autres? Nous vivons en société; il n’y a donc de véritablement bon pour nous que ce qui fait le bien de la société. Un solitaire sera sobre, pieux, Il sera revêtu d’un cilice; eh bien, il sera saint: mais je ne l’appellerai vertueux que quand il aura fait quelque acte de vertu dont les autres hommes auront profité. Tant qu’il est seul, il n’est ni bienfaisant ni malfaisant; il n’est rien pour nous. Si saint Bruno a mis la paix dans les familles, s’il a secouru l’indigence, il a été vertueux; s’il a jeûné, prié dans la solitude, il a été un saint. La vertu entre les hommes est un commerce de bienfaits; celui qui n’a nulle part à ce commerce ne doit point être compté. Si ce saint était dans le monde, il ferait du bien sans doute; mais tant qu’il n’y sera pas, le monde aura raison de ne lui pas donner le nom de vertueux; il sera bon pour lui, et non pour nous.
Mais, me dites-vous, si un solitaire est gourmand, ivrogne, livré à une débauche secrète avec lui-même, il est vicieux; il est donc vertueux, s’il a les qualités contraires. C’est de quoi je ne puis convenir: c’est un très vilain homme s’il a les défauts dont vous parlez; mais il n’est point vicieux, méchant, punissable par rapport à la société, à qui ses infamies ne font aucun mal. Il est à présumer que, s’il rentre dans la société, il y fera du mal, qu’il y sera très vicieux; et il est même bien plus probable que ce sera un méchant homme, qu’il n’est sûr que l’autre solitaire tempérant et chaste sera un homme de bien; car dans la société les défauts augmentent, et les bonnes qualités diminuent.
On fait une objection bien plus forte; Néron, le pape Alexandre VI, et d’antres monstres de cette espèce, ont répandu des bienfaits; je réponds hardiment qu’ils furent vertueux ce jour-là.
Quelques théologiens disent que le divin empereur Antonin n’était pas vertueux; que c’était un stoïcien entêté, qui, non content de commander aux hommes, voulait encore être estimé d’eux; qu’il rapportait à lui-même le bien qu’il faisait au genre humain; qu’il fut toute sa vie juste, laborieux, bienfaisant par vanité, et qu’il ne fit que tromper les hommes par ses vertus; je m’écrie alors: « Mon Dieu, donnez-nous souvent de pareils fripons! »