Abraham – (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Abraham aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Abraham est un de ces noms célèbres dans l’Asie Mineure et dans l’Arabie, comme Thaut chez les Égyptiens, le premier Zoroastre dans la Perse, Hercule en Grèce, Orphée dans la Thrace, Odin chez les nations septentrionales, et tant d’autres plus connus par leur célébrité que par une histoire bien avérée. Je ne parle ici que de l’histoire profane; car pour celle des Juifs, nos maîtres et nos ennemis que nous croyons et que nous détestons, comme l’histoire de ce peuple a été visiblement écrite par le Saint-Esprit, nous avons pour elle les sentiments que nous devons avoir. Nous ne nous adressons ici qu’aux Arabes; ils se vantent de descendre d’Abraham par Ismaël; ils croient que ce patriarche bâtit la Mecque, et qu’il mourut dans cette ville. Le fait est que la race d’Ismaël a été infiniment plus favorisée de Dieu que la race de Jacob. L’une et l’autre race a produit à la vérité des voleurs; mais les voleurs arabes ont été prodigieusement supérieurs aux voleurs juifs. Les descendants de Jacob ne conquirent qu’un très petit pays, qu’ils ont perdu; et les descendants d’Ismaël ont conquis une partie de l’Asie, de l’Europe, et de l’Afrique, ont établi un empire plus vaste que celui des Romains, et ont chassé les Juifs de leurs cavernes, qu’ils appelaient la terre de promission.

A ne juger des choses que par les exemples de nos histoires modernes, il serait assez difficile qu’Abraham eût été le père de deux nations si différentes; on nous dit qu’il était né en Chaldée, et qu’il était fils d’un pauvre potier, qui gagnait sa vie à faire de petites idoles de terre. Il n’est guère vraisemblable que le fils de ce potier soit allé fonder la Mecque à quatre cents lieues de là sous le tropique, en passant par des déserts impraticables. S’il fut un conquérant, il s’adressa sans doute au beau pays de l’Assyrie; et s’il ne fut qu’un pauvre homme, comme on nous le dépeint, il n’a pas fondé des royaumes hors de chez lui.

La Genèse rapporte qu’il avait soixante et quinze ans lorsqu’il sortit du pays de Haran après la mort de son père Tharé le potier: mais la même Genèse dit aussi que Tharé ayant engendré Abraham à soixante et dix ans, ce Tharé vécut jusqu’à deux cent cinq ans, et ensuite qu’Abraham partit de Haran; ce qui semble dire que ce fut après la mort de son père. Ou l’auteur sait bien mal disposer une narration, ou il est clair par la Genèse même qu’Abraham était âgé de cent trente-cinq ans quand il quitta la Mésopotamie. Il alla d’un pays qu’on nomme idolâtre dans un autre pays idolâtre nommé Sichem en Palestine. Pourquoi y alla-t-il? pourquoi quitta-t-il les bords fertiles de l’Euphrate pour une contrée aussi éloignée, aussi stérile, aussi pierreuse que celle de Sichem? La langue chaldéenne devait être fort différente de celle de Sichem, ce n’était point un lieu de commerce; Sichem est éloigné de la Chaldée de plus de cent lieues; il faut passer des déserts pour y arriver; mais Dieu voulait qu’il fit ce voyage, il voulait lui montrer la terre que devaient occuper ses descendants plusieurs siècles après lui. L’esprit humain comprend avec peine les raisons d’un tel voyage.

A peine est-il arrivé dans le petit pays montagneux de Sichem que la famine l’en fait sortir. Il va en Égypte avec sa femme chercher de quoi vivre. Il y a deux cents lieues de Sichem à Memphis; est-il naturel qu’on aille demander du blé si loin et dans un pays dont on n’entend point la langue? Voilà d’étranges voyages entrepris à l’âge de près de cent quarante années.

Il amène à Memphis sa femme Sara, qui était extrêmement jeune, et presque enfant en comparaison de lui, car elle n’avait que soixante-cinq ans. Comme elle était très belle, il résolut de tirer parti de sa beauté: « Feignez que vous êtes ma soeur, lui dit-il, afin qu’on me fasse du bien à cause de vous. » Il devait bien plutôt lui dire: « Feignez que vous êtes ma fille. » Le roi devint amoureux de la jeune Sara, et donna au prétendu frère beaucoup de brebis, de boeufs, d’ânes, d’ânesses, de chameaux, de serviteurs, de servantes: ce qui prouve que l’Égypte dès lors était un royaume très puissant et très policé, par conséquent très ancien, et qu’on récompensait magnifiquement les frères qui venaient offrir leurs soeurs aux rois de Memphis.

La jeune Sara avait quatre-vingt-dix ans quand Dieu lui promit qu’Abraham, qui en avait alors cent soixante, lui ferait un enfant dans l’année. Abraham, qui aimait à voyager, alla dans le désert horrible de Cadès avec sa femme grosse, toujours jeune et toujours jolie. Un roi de ce désert ne manqua pas d’être amoureux de Sara comme le roi d’Égypte l’avait été. Le père des croyants fit le même mensonge qu’en Égypte: il donna sa femme pour sa soeur, et eut encore de cette affaire des brebis, des boeufs, des serviteurs, et des servantes. On peut dire que cet Abraham devint fort riche du chef de sa femme. Les commentateurs ont fait un nombre prodigieux de volumes pour justifier la conduite d’Abraham, et pour concilier la chronologie. Il faut donc renvoyer le lecteur à ces commentaires. Il sont tous composés par des esprits fins et délicats, excellents métaphysiciens, gens sans préjugés, et point du tout pédants.